Qui était Dashiell Hammett ?

Publié le 06 janvier 2012 par Les Lettres Françaises

Qui était Dashiell Hammett ?

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Richard Layman, L'insaisissable. La vie de Dashiell Hammett

On dit en anglais « detective fiction » ou encore « crime fiction». En français, on parle de roman policier ou de polar, genre qui tient une place de choix dans le champ de la littérature réaliste critique américaine du vingtième siècle, communément rassemblée sous l’étiquette « roman noir ». On fait généralement remonter sa naissance au Double assassinat dans la rue morgue , d’Edgar Allan Poe, en avril 1841. C’est un autre écrivain de Baltimore qui lui imprima son évolution la plus significative, égale à une seconde naissance, huit décennies plus tard. Au moment où Dashiell Hammett entreprend de se lancer dans la littérature, « pour voir de quoi il était capable », après avoir exercé divers emplois alimentaires, notamment au sein de la célèbre agence de détectives privés Pinkerton, le genre policier est une littérature de second rang. Publiée dans des magazines bon marché, que l’on surnomme « pulp magazines » à cause de la faible qualité du papier sur lequel on les imprime, produite à la chaîne par des auteurs rémunérés à la ligne, la littérature policière est symbolisée dans les années vingt par l’oeuvre de Willard Huntington Wright, homme de lettres distingué qui choisit de publier ses histoires policières sous le pseudonyme de S.S Van Dine. « Le détective qu’il mettait en scène, Philo Vance, était un amateur ampoulé dont le savoir encyclopédique tendait à se diluer en gloses interminables sur des sujets futiles. Philo Vance fut le modèle de du détective à cette époque », résume Richard Layman, dans la biographie qu’il a consacrée à Dashiell Hammett, l’Insaisissable.

« En 1926, Wright résumait à lui tout seul ce que les histoires de détectives tentaient d’accomplir aux yeux de la majorité des lecteurs et des érivains. Ces histoires visaient une chose : l’intrigue », et elles étaient peuplées de détectives capables de résoudre des énigmes incoryablement élaborées à l’aide de leur « prodigieux intellect », de « la seule force prodigieuse de leur méthode analytique ». Hammett y substitua un réalisme strict, une écriture épurée, et introduisit le personnage du détective privé hardboiled : dur, par nécessité, doté d’un code d’action personnel, par choix. Selon la célèbre formule de Raymond Chandler, l’un des admirateurs et des héritiers littéraires de Hammett, ce dernier sortit « le crime du vase vénitien où il était, pour le jeter dans la rue », il le rendit à ceux qui le commettent « pour une raison ». Dans le même mouvement, il sortit également la littérature policière des quais de gare pour la placer sur les rayons des bibliothèques et  les plateaux de cinéma.

Dashiell Hammett n’a pas laissé d’autre biographie qu’une correspondance régulière avec sa famille, quelques amis et relations littéraires, et des souvenirs chez ceux qu’il a croisés. Dans son recueil de portraits, Vladimir Pozner se souvient ainsi de sa rencontre avec l’auteur américain : « Il avait une belle tête, un regard attentif, bienveillant, facilement amusé, et, dans sa démarche et sa façon de s’habiller, une sorte de nonchalante élégance. Il habitait la campagne new-yorkaise, près d’un petit lac poissonneux où il restait des journées entières à pêcher. A l’époque – c’était pendant la guerre – il n’écrivait plus. Ses amis espéraient qu’il s’était momentanément interrompu : cela lui était déjà arrivé ». Hammett n’écrirait pourtant plus rien. Il avait garanti la postérité à son oeuvre et au genre qu’elle avait initié en seulement six années et cinq romans. Auteur à succès appelé à Hollywood pour adapter ses oeuvres, engagé volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale (affecté en Alaska, il s’amusa beaucoup à éditer un journal d’information à destination des troupes baptisé The Adakian), flambeur invétéré, son engagement politique en faveur d’un grand nombre de causes d’extrême-gauche lui valut l’attention du FBI, puis des chasseurs de communistes. Emprisonné, ruiné par le fisc, privé de ses droits d’auteur et placé sur la liste noire, Hammett mourut dans le dénuement en 1961, à 67 ans.

La clé de verre, Dashiell Hammett

Dans cette oeuvre fulgurante, un titre a acquis une notoriété éminente, assurée en bonne partie par l’adaptation cinématographique qu’en donna John Huston, pour son coup d’essai derrière la caméra, en 1941, 11 ans après la première publication du roman en feuilletons dans la magazine Black Mask : Le Faucon maltais. C’est un des sommets de la littérature policière moderne, au même titre que le roman qui le suit dans la bibliographie de Hammett, La clé de verre. Richard Layman s’attarde particulièrement sur ces deux oeuvres qui sont les plus grandes réussites de Hammett, avec son roman inaugural, Moisson rouge, et qui le placent à égalité (au-dessus ?) de Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos… Loin de la légende – plaisante – entretenue par Lilian Hellman, l’auteur dramatique qui fut la compagne et l’amie de Hammett, Layman ne garde, des frasques et de l’engagement politique de ce dernier, que ce qui permet de comprendre sa démarche littéraire et son silence par la suite, confirmant ainsi l’analyse proposée par Jean-Patrick Manchette, dans ses Chroniques : « Les écrits de Hammett et de quelques autres ont été un moment nécessaire des soupirs et des rages de la créature opprimée, moment qui est passé. Le roman noir américain, c’est-à-dire d’abord Hammett, a achevé son développement longtemps avant la mort de son fondateur. Il a porté un jugement négatif sur la littérature et l’ensemble de la société de son temps. L’affaire du temps présent n’est plus ce jugement, mais son exécution. Quiconque lit maintenant Dashiell Hammett avec un simple plaisir de distraction devrait plutôt s’épouvanter ».

Sébastien Banse

Richard Layman, L’insaisissable : la vie de Dashiell Hammett, éditions Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2011, 353 pages, 23,50 euros.