De la crise à la guerre, de Laurent Artur du Plessis

Publié le 06 janvier 2012 par Copeau @Contrepoints

Une recension du récent ouvrage de Laurent Artur du Plessis De la crise à la guerre – la faillite des élites, publié aux éditions Jean-Cyrille Godefroy.

Par Xavier Driancourt

Contexte

Spécialiste de géopolitique, directeur des publications de nos amis de Contribuables Associés, ancien journaliste au Figaro Magazine, Laurent Artur du Plessis a publié en septembre 2002, au lendemain des tragiques événements du 11 septembre 2001 et de l’éclatement de la bulle financière des technologies de l’information, un essai plusieurs fois réédité qui eut un retentissement considérable, liant géopolitique, finance et histoire des civilisations : La 3ème guerre mondiale a commencé, qui alerte sur le risque d’un effrayant scenario noir du début de notre 21ème siècle.

Dans ce scénario noir :

  • la crise financière découlant de l’inévitable explosion des bulles financières et monétaires occidentales prendrait la forme d’une profonde récession une fois les stimuli monétaires ou budgétaires épuisés,
  • les opinions et les gouvernants se  radicaliseraient alors,
  • s’ensuivrait une escalade de tensions géopolitiques avivant les frictions civilisationnelles avec une massification du terrorisme notamment islamiste sur le sol européen puis des actions militaires officielles recourant in fine aux armes de destructions massives, tuant une proportion importante de l’humanité.

Présentation générale

Dans son récent ouvrage De la crise à la guerre (la faillite des élites) Laurent Artur du Plessis étudie la (forte) conformité du début de ce scénario noir avec le déroulement effectif de la décennie 2002-2011 et documente plus précisément certains fondements de son effrayante analyse visionnaire de 2002.

Rédigé de façon littéraire mais concise en à peine plus de 150 pages et 50 000 mots, l’ouvrage est structuré autour de 3 chapitres (1- Voila pourquoi l’establishment n’a pas vu venir la crise, 2- Les peuples contre l’oligarchie, 3- L’humanité entre dans la Troisième Guerre mondiale), encadrés par une brève introduction et une conclusion compacte.

Notre commentaire : La force de l’ouvrage de même que son prédécesseur réside dans son caractère implacablement visionnaire. Visionnaire car il brosse une fresque d’une dimension impressionnante, mêlant avec maestria couleurs économiques, textures civilisationnelles, et drames géopolitiques. Implacable car l’enchainement rigoureux qu’il décrit apparait voué à échapper au contrôle de ses acteurs pourtant immensément puissants. Le drame impensable par son ampleur destructrice prend alors l’allure d’une imparable tragédie. Laurent Artur du Plessis la décrit comme inévitable ; nous l’estimons dotée d’une probabilité hélas trop importante pour être ignorée.

Introduction de l’ouvrage

L’introduction de l’ouvrage souligne tout d’abord l’actuelle rupture de perspective officialisée par la remise en question des notes de crédibilité financières AAA des plus grandes puissances régaliennes, puis prédit une profonde récession mondiale et, s’appuyant sur le précédent de 1929, évoque alors la montée d’une troisième guerre mondiale, encore plus destructrice que la seconde.

Premier chapitre : les élites n’ont pas vu venir la crise

Le premier chapitre aborde l’intrigante question de savoir pourquoi la crise était prévisible alors que les élites ne l’ont pas vu venir.

Laurent Artur du Plessis évoque tout d’abord (p 9-11) le rôle de certaines personnalités de premier plan qui se sont empressées d’impulser le mythe de son imprévisibilité puis les lacunes consubstantielles aux métiers des experts.

Après un bref rappel de ses prévisions publiées en 2002 (p 11-13), il en documente ensuite les deux piliers de son analyse économique. Le premier pilier (p 13-20), de nature causale, est l’incontournable analyse structurelle portée par l’Ecole Autrichienne d’économie et notamment l’ami de l’auteur, le grand économiste Kurt Richebächer qui décrivit la succession de bulles financières et monétaires occidentales vouées à exploser en une récession de plus en plus profonde. Le second pilier (p 33-44, 46-49), de nature non causale, est l’analyse technique de formes temporelles financières, couramment apportées sans interprétation dans le microcosme financier par le chartisme, ses vagues d’Elliot ou ses extensions fractales.

Au fil de ce premier chapitre sont également intégrées plusieurs sections tout à fait intéressantes, telles qu’une liste publiée par des chercheurs de l’université de Groningen portant sur 12 grands économistes ayant avant 2006 décrit correctement la crise (p 21-24), ou bien les positions de Maurice Allais (p 24-25), Jacques Rueff (p 26-29) ou son disciple Pierre Leconte (p 30-31) sur le sujet de la monnaie, ou le bulletin GEAB dont les prévisions s’avèrent régulièrement exactes sur son déroulement (p 31-32), ou encore l’articulation entre gestion monétaire, bulle high tech et bulle immobilière (p 44-46).

Notre commentaire : Les prévisions économiques génériques énoncées par Laurent Artur du Plessis en 2002 se sont avérées exactes. Elles ont pris plus spécifiquement réalité avec le retournement de tendance immobilière états-unienne de 2005 déclenchant la crise des subprimes puis le crach boursier de 2007. L’analyse monétaire fournie par l’école autrichienne est probante et constitue un grand point fort de l’approche prédictive de l’auteur. En revanche, il mobilise en parallèle l’analyse technique des courbes de valeurs financières et ses vagues d’Elliot, habituellement utilisées par les traders à l’échelle des heures ou des jours, et plus anecdotiquement explorées pour leurs putatives capacités prédictives dans des contextes plus longs, ce qui nous laisse perplexes s’agissant de prévisions économiques continentales à l’échelle des années et des décennies. Finalement on consultera avec bonheur le passage en revue de divers autres auteurs et sources proposées. Dans ce 1er chapitre Laurent Artur du Plessis affirme sa vision politique de l’économie : libérale à l’intérieur fortement teintée de protectionniste à l’extérieur, du moins envers les pays d’alliance incertaine, de civilisation tierce ou de niveau de développement trop inférieur et de population trop ample, avec qui la libéralisation des échanges est susceptible de jeter pour des décennies dans la pauvreté ou l’assistanat les couches populaires les moins compétentes des pays occidentaux.

Second chapitre : les peuples sont en rupture avec leurs élites pré-crise

Le second chapitre décrit la fracture de plus en plus ouverte entre, d’une part, les peuples, ceux-ci conservant une forte identité culturelle, et, d’autre part, leurs actuels dirigeants politiques ou économiques, souvent mondialisés et prochainement marqués par le sceau de l’échec de leur politique organiquement keynésienne et mécaniquement mondialiste.

Laurent Artur du Plessis souligne (51-64) qu’à l’origine de la bulle immobilière se trouve la conjonction de politique monétaire keynésienne et de politique immobilière et financière démocrate sociale, orchestrées par l’oligarchie financière et politique. Il rappelle ensuite leur mise en œuvre souvent cynique par les acteurs financiers et le déroulement des phases de crise de l’été 2007 et de l’automne 2008. L’auteur émet un diagnostic sévère contre, d’une part, la croissance monétaire débridée voulue notamment par Alan Greenspan sous les applaudissements de Georges Soros dès la crise de 1987 pour repousser bulle après bulle et crise après crise le retour à la réalité économique et, d’autre part, contre les marchés dérivés qui au-delà de leur mission assurantielle ou prévisionnelle légitime ont fourni un immense et abscons champ d’expansion du crédit, pendant financier vraisemblablement frelaté de la croissance de la masse monétaire.

L’auteur décrit (p 64-67) la nouvelle occurrence de l’utilisation des instruments financiers et monétaires mise en œuvre à la fin de la décennie 2000 pour tenter en vain de repousser une nouvelle fois la crise issue de l’éclatement des bulles antérieures dont la plus grande est la bulle immobilière, tellement immense qu’il semble impossible de contrer les conséquences socioéconomiques de son éclatement.

Laurent Artur du Plessis souligne (p 67-76) le rôle des Allemands aux premiers rangs desquels le ministre des finances Peer Steinbrück et la chancelière Angela Merckel puis du Tea Party états-unien qui ont mis une énergie croissante à faire barrage à la cavalerie monétaire réclamée par les autres acteurs politiques européens et états-uniens. « Hélicoptère » Bernanke s’est ainsi retrouvé cloué au sol. Les peuples états-uniens et allemands sont donc en voie d’imposer un retour à l’orthodoxie monétaire, au moment où de douteux hérauts de la financiarisation débridée de l’économie, tels Goldman Sachs se trouvent massivement décriés et où une forte proportion des politiciens apparait de plus en plus comme des gestionnaires à la petite semaine enclins à piétiner la volonté populaire.

L’auteur décrit ensuite (p 76-84) la récente spirale des tensions récessionnistes et des déficits budgétaires, couplés au jeu de dominos où les pays en train de sombrer dans le gouffre, tels que la Grèce, menacent d’emporter le système bancaire ou la monnaie des pays qui en sont simplement au bord, tels que les USA. Il souligne que la mondialisation a supprimé l’étanchéité économique des états nations et de leurs civilisations, rompant une loi prudentielle présente dans la nature, celle de la césure génératrice de redondances autonomes.

Selon Laurent Artur du Plessis les vertus d’austérité budgétaire, de ratios prudentiels et de relèvement des taux d’intérêts, nécessaires mais beaucoup trop tardives, purgeront le système financier, déclenchant une récession profonde inévitable. Il observe (p 92-104) que la démondialisation a commencé, alors que les pays émergents ne sont pas encore en mesure de prendre le relais de l’Occident pour tirer la croissance mondiale et leur système sociopolitique est souvent fragile, les menaçant de dislocation en cas de dépression économique mondiale, au coté de l’euro, des élites mondialisées et du libre échange. L’auteur étudie dans la foulée du GEAB (104-106) les puissants phénomènes inflationnistes et déflationnistes qui s’entrecroisent selon les multiples secteurs de la finance ou de la consommation.

L’auteur décrit le précédent argentin (p 106-108) où une crise monétaire déboucha sur la violence civile et sur la pauvreté de masse. Il prédit (p 108-113) un retour de la misère en occident et, dans le monde, de violences civiles aggravant les difficultés économiques, engendrant des famines et des défaillances dans le fonctionnement des services vitaux telles que les soins ou la production d’eau potable, transformant en enfer les mégapoles éloignées des solidarités et sources de survies campagnardes.

Notre commentaire : la prévision économique de l’auteur nous parait probante et sa prévision politique vraisemblable bien qu’incertaine. Les libéraux seront alarmés d’une prévision politique qui remet en cause le libre échange ou la financiarisation, menaçant de remettre en question des pans entiers de l’efficacité de l’économie mondiale. Cette prévision relève à la fois d’une vision réaliste des crispations contre productives qui risquent d’être engendrées quand la crise sera trop douloureuse pour être acceptée, mais aussi d’une critique formulée par le géopoliticien Laurent Artur du Plessis attentif aux aspects diplomatiques, militaires et civilisationnels, à l’encontre des puristes de l’économie désincarnée ou des manipulateurs de la finance absconse.

Troisième chapitre : les tensions géopolitiques se développent

Le troisième chapitre décrit l’escalade d’agressivité géopolitique et civilisationnelle susceptible d’aboutir à une 3ème guerre mondiale.

Laurent Artur du Plessis prédit (115-116) que la crise économique sera plus rude encore que celle des années 1930 en raison de la plus grande importance contemporaine de la financiarisation, de la mondialisation, jetant avec plus de force encore les peuples dans les affres d’un conflit mondial. L’utopie mondialiste et la religion du progrès issue du positivisme se trouvent balayées (p 116-119).

L’auteur étudie ensuite la progression inexorable de l’islamisme et les conflits armés (p 119-138) qui pourraient en jaillir. Les premiers problèmes économiques ont déclenché la chute des despotes éclairés du monde arabe méditerranéen. Le durcissement brutal de la crise permettra aux islamistes de balayer ce qu’il y a de démocratique dans les nouveaux régimes et d’installer un pouvoir sans partage. La Libye déchirée par des tensions tribales sombrera dans le chaos, générateur d’équipes terroristes armées par la prise de l’arsenal de Kadhafi notamment des missiles sol air. Pour le moment les islamistes montent au pouvoir de façon légitime et dotés d’un programme modéré aux yeux de l’Occident, imitant la méthode inaugurée par le turc Erdogan qui une fois solidement installé au pouvoir, durcit sa politique tant intérieure qu’extérieure. L’auteur parcourt ensuite les tensions avec l’Iran qui s’intensifient, l’inquiétude planant sur la survie d’Israël, le désamour états-unien au Pakistan nucléarisé où la montée de l’islamisme mettra le feu aux poudres indiennes, la montée de la puissance chinoise fragilisée par sa dépendance aux exportations mais tentée par plusieurs conflits impérialistes régionaux.

La Chine sera naturellement alliée au monde musulman par opposition à l’Inde et aussi par appétence pétrolière, mais, pas encore au niveau de puissance des USA, elle perdra le conflit (p 138-144). Le rôle de la Russie est incertain et l’auteur souligne l’intérêt stratégique de l’UE à s’en faire un allié, alors que les USA actuellement sous pression financière recentrent leurs forces sur la défense de leurs intérêts stratégiques au premier rang desquels les approvisionnements énergétiques laissant les européens assurer leur propre défense (p 144-149).

En Europe, l’actuelle montée des droites populistes va s’amplifier avec la crise et consacrer le retour des nations (p 150-151). Avec la montée des tensions géopolitiques, le terrorisme réapparaitra douloureusement en Europe et en Occident, prenant une ampleur terrifiante, dans le cadre d’une escalade de destructions finalement massives menées par les mouvances terroristes assistées d’états islamiques et les puissances occidentales. (p 151-157)

Notre commentaire : les évolutions diplomatiques, sociales et politiques décrites semblent probantes. L’apparition de conflits militaires ou terroristes majeurs reste cependant à nos yeux hypothétique malgré les tensions et tentations rendues intenses par la crise économique, l’accession imminente d’islamistes à l’arme nucléaire en Iran ou au Pakistan et les risques militaires et démographiques qui pèsent sur l’état juif.

Conclusion de l’ouvrage

La conclusion de l’ouvrage souligne la fin des « guerres humanitaires » que la surpuissance occidentale avait pu mener sous des motifs compassionnels avec des méthodes précautionneuses. Selon lui, l’Occident ruiné et poussé dans ses ultimes retranchements face à une adversité terrifiante, renouera avec les méthodes efficaces et brutales à sa disposition, incluant les armes de destruction massive.