« Dispose d’une forte marge de progression » : c’est ainsi qu’on qualifiera la presse française actuellement, et plus généralement, c’est de cette façon qu’on pourra décrire les performances journalistiques quotidiennes dans la République du Bisou Tranquille. Il ne se passe en effet pas une journée sans qu’un titre hasardeux, un article approximatif ou un reportage consternant ne viennent égayer la journée d’un honnête homme ; trois minutes d’un journal télévisé d’une des grandes chaînes nationales, quelques feuilles d’un quotidien frémissant de professionnalisme chichement dosé redonnent au citoyen parfois un peu abattu ce sentiment joyeux que non, finalement, il n’est pas une sous-merde et qu’il existe bien pire que lui.
J’avais d’ailleurs fait état de la médiocrité de cette presse dans de précédents billets, dans lesquels je notais par exemple que le prix au poids de la presse quotidienne était très défavorable au lectorat français ; j’ai aussi remarqué que, conséquemment, ce lectorat, probablement lassé de payer cher (deux fois) un piètre produit s’en détournait progressivement.
À l’époque, j’avais d’ailleurs fait le constat lucide que les organes de presse, moribonds, remuaient encore un peu et que seul un vigoureux élan citoyen, consistant à se désabonner massivement, permettrait de mettre fin à l’agonie une fois pour toute. Je renouvelle ici cet appel : n’achetez plus ces étrons que sont lentement devenus Libérassion, Le Môônde ou Le Figlaro. Leur parti-pris, leur absence quasi-assumée d’éthique et de recul, leurs sujets abrutissants, leur traitement rigologène de l’actualité et la morgue insupportable doublée d’une fine couche de mépris hautain que leurs journalistes vedettes utilisent régulièrement pour s’autoriser leurs lamentables performances justifient largement votre désabonnement et la faillite complète de ces monuments de mauvais goût.
Jusqu’à présent, cependant, ces organes avaient persisté tant dans leurs sales habitudes de se croire De Quälitay que dans celles de se croire aussi Les Seuls Professionnels À Avoir Leur Mot À Dire, en cachant malhabilement la fuite de leur lectorat derrière une explication aussi simple qu’à la mode : le oueb, la presse gratuite, et pire, la presse gratuite sur le oueb.
Petit à petit, cependant, il apparaît que le voile pudique qui déguisait la réalité de l’effondrement de la presse française se déchire au détour de petits articles … de la presse en ligne justement. On sent poindre un aspect particulièrement moqueur derrière cette révélation mais c’était prévisible : puisque la presse gratuite et en ligne sert largement de bouc émissaire pour expliquer les déboires des dépotoirs à articles mal boutiqués que sont devenus les grands journaux nationaux, elle a fini par enquêter pour voir à quel point elle était effectivement responsable de la situation.
Et le constat est un peu plus pastel que ce que voudraient nous faire croire des journalistes traditionnels bien en peine de nous expliquer leurs privilèges sans faire une faute d’orthographe, des phrases alambiquées ou de pathétiques erreurs de grammaire : la presse papier doit une très grande partie de sa déconfiture … à elle-même, avant tout.
(Ici, le lecteur régulier ne sera pas étonné – Le journaliste traditionnel, arrivé ici par hasard, entre deux cafés syndicaux et un petit brin de causette à la standardiste en stage fraîchement arrivée, vient de louper une systole.)
On apprend ainsi que le déclin de la presse quotidienne, nationale ou régionale, ne peut effectivement dater de l’arrivée de la presse gratuite on-line puisque ce déclin s’est amorcé, en gros, dès les années 70 pour ne plus s’arrêter depuis : entre 1945 et 2005, seize quotidiens nationaux plient proprement et le tirage global de la presse recule de 59%.
Non, le web n’y est pour rien. Mieux : il serait en réalité un « décélarateur » de la tendance générale, puisque la perte de lectorat s’est réduite ces dernières années avec l’arrivée de ces mêmes quotidiens sous forme électronique…
En fait, je le redis plus simplement : si la presse quotidienne est de moins en moins lue, ce n’est pas à cause de la concurrence des gratuits (aussi mauvais) et de la presse en-ligne, mais c’est simplement parce qu’ils sont suffisamment pourris pour ne plus attirer le lecteur, avant tout. L’arrivée de l’électronique a simplement permis de révéler la médiocrité de la presse française, mais n’est pour rien ou à peu près dans sa lente disparition.
En revanche, les subventions assez massives dont dispose la presse expliquent assez bien ce qu’on observe : ronronnement des gros quotidiens, assommés par l’opium facile de la manne publique qui tombe sans qu’on ait à se remettre en cause, multiples privilèges des journalistes rapidement habitués à en faire le moins possible, et, en fin de chaîne, des coûts ridiculement élevés de production engendrés par un syndicalisme mafieux de la CGT qui n’a rien à envier aux flibustiers éhontés de SeaFrance ou de la SNCM.
On pouffera donc en lisant les atermoiements de nos journalistes des grands quotidiens nationaux qui pleurent sur leur triste sort sans rien vouloir changer et mettent sur le compte d’une méchante concurrence leurs déboires indescriptibles.
Parallèlement, on apprend que Médiapart serait rentable. C’est assez intéressant parce que ce média est un impure-player : presse résolument en ligne, électronique et virtuelle, elle se nourrit essentiellement des abonnements, ce qui laisse supposer un business-model tenable sur le long terme, mais aussi de la bonne grosse subvention étatique (d’où le « impure »). Les prochaines années, qui verront assez probablement l’organe se détacher du lot ou retomber dans les travers développés par ses grands frères de la presse traditionnelle, permettront de trancher sur l’impact de ces subventions dans la qualité de la production… Le libéral sait que si ces subventions sont indispensables à Mediapart pour équilibrer son budget, il finira en quenouille.
Au passage, on rappellera que l’expérience Rue89, média tout aussi impure-player que le précédent (et, bizarrement, tout aussi à gauche politiquement), s’est soldé récemment par son rachat par un gros groupe joufflu à la solde du méchant capitalisme ce qui n’a absolument pas dérangé le trotskiste Pierre Haski, qui a probablement dû toucher un petit paquet de brouzoufs au passage, ce qui le mettra définitivement à l’abri du prolétariat dont il nous entretiendra pourtant encore longtemps.
Là encore, l’avenir permettra de connaître tout le bénéfice qu’on peut retirer de la subvention, des privilèges et des habitudes…
Mais en attendant, on pourra tout de même se satisfaire de cette conclusion d’étape : non, le web n’a pas tué la presse papier. En acceptant toutes ces subventions, elle s’est suicidée.
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