Le marketing est-il une science? Passons sur les matrices, grilles d’analyse, typologies, process et prouesses technologiques, cognitifs, sensoriels et psychographiques. Sans outil ni méthodologie, le directeur marketing le plus autiste ne peut nier l’ampleur du phénomène individualiste et de son hypertrophie, et en faire un axe majeur du développement de son offre. Facile donc, a fortiori pour une firme de l’ampleur de Danone, de démontrer par A+B que culte de l’apparence + préoccupations de santé + époque hédoniste = Danone Essensis. CQFD. Las, les scientifiques tant soit peu consciencieux vous alerteront sur l’importance des variables dans toute équation. Car Essensis n’est pas, un an après son lancement, le succès escompté. De stagnations en déréférencements partiels, un ajustement du positionnement produit est annoncé.
Un cas d’école, pour le meilleur et pour le pire. Une rupture marketing, prophétisaient certains experts. Deux coups d’avance, arguaient d’autres analystes. La cosmeto food, la dermo-nutrition, c‘était déjà demain. Le in cauda venenum des pro Essensis étant : ça marchera, Actimel et Danacol ont bien marché ! C’est d’abord mésestimer la force unique des messages centrés sur le métabolisme strictement intérieur. L’artiste contemporain Wim Delvoye a beau jeu de démystifier le Cloaca, la boîte noire de nos entrailles demeure sujet de fascination et d’inquiétude. Que l’on soit nutritionniste ou femme enceinte, n’est-ce pas là l’essentiel ? Le statut de la peau, lui, diffère. C’est l’intime et l’extérieur entremêlés. De nos jours, on a l’âge de ses artères, mais on n’a plus forcément l’âge de sa peau, loin s’en faut.
S’agissant d’Essensis, et sur un plan marketing, c’est le statut du bénéfice qui est interrogé : entre un yahourt qui renforce le calcium des os, aide à la digestion et accessoirement embellit la peau, et un yahourt rose fushia dédié au paraître, la nuance n’est pas diaphane. Paradoxalement, Essensis est sans doute tout aussi salubre pour la digestion qu’Activia. Mais faire d’un produit banal (une crème glacée peut faire rêver, mais un yahourt ?) un réceptacle d’extraversion, un totem égotiste, voilà un Rubicon que les Narcisse de tout poil ont encore quelques réticences à franchir. A moins que l’idée de brandir son exubérance entre la crème fraîche, le petit suisse et la mozzarella ne soit tout simplement pas sexy. Ces temps-ci, les category managers doivent sûrement être à fleur de peau.