Dura lex sed lex. Dans trois mois exactement, Concorde va se retrouver devant les juges. Ou plus exactement Continental Airlines, devenue entretemps United-Continental : le procès en appel aura lieu dans le cadre de la Cour d’appel de Versailles et s’étendra sur deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 9 mai.
Le moins que l’on puisse dire est qu’il est difficile de justifier ce nouvel épisode mais qu’il est inévitable : il y a eu procès, il y a appel et il convient tout simplement de respecter la loi. Il n’est en aucun cas envisageable de déroger à la règle, malgré le caractère pour le moins particulier de ce triste épilogue à la saga de l’avion de transport supersonique franco-britannique.
L’année dernière, devant les juges du tribunal de grande instance de Pontoise, les dirigeants de Continental et leurs avocats ont déployé des efforts désespérés pour semer le doute au sujet des causes premières de l’accident du vol Paris-New York qui, à peine décollé, s’est écrasé sur un hôtel de Gonesse. Ils ont tenté d’accréditer un autre scénario, à savoir que la séquence d’événements ayant mené au crash avait été enclenchée avant le passage de la jambe gauche du train d’atterrissage sur une lamelle de titane tombée d’un DC-10 de la compagnie américaine.
Des experts se sont évertués à rendre cette hypothèse crédible, mais sans y parvenir. D’où un verdict ne laissant pas place au doute, Continental, personne morale, John Taylor, personne physique, superviseur de maintenance à Houston, étant tenus pour responsables du crash. Dans la foulée, les juges ont imposé des amendes, au demeurant proportionnellement peu élevées, inférieures aux demandes des parties civiles, sachant que la catastrophe a fait 113 victimes. On aurait aimé en rester là mais Continental ne l’a pas entendu ainsi. Son avocat, Me Olivier Metzer, n’a pas attendu un seul instant, après lecture du verdict, pour annoncer la décision mûrement réfléchie et préparée de faire appel. Et, ce qui est dans l’air du temps, il a vu dans le verdict l’expression d’un protectionnisme français d’un genre nouveau.
Que peut espérer la compagnie aérienne américaine ? Sans doute rien de plus, rien de moins, que le verdict de 2011. Le rapport final du BEA, Bureau d’enquêtes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, ne laisse aucun doute sur les causes et les circonstances de l’accident. Dès lors, on imagine difficilement les juges de Versailles contredire leurs collègues de Pontoise. Ce sera, selon toute probabilité, un coup d’épée dans l’eau qui aura pour seul résultat de mettre à nouveau en exergue les efforts des uns et des autres de ne pas se laisser manipuler. Et cela sans véritable enjeu, Concorde trônant depuis bientôt 9 ans dans les musées de l’aviation. Il n’est donc pas question de formuler de quelconques recommandations susceptibles d’améliorer la sécurité aérienne.
Il n’est pas trop tôt pour y penser : ce procès en appel, quelles que soient les attentes de la partie américaine, pourrait gagner en intérêt si les débats pouvaient prouver que techniciens et hommes de loi commencent à se rapprocher et viser des objectifs communs. Il faut tendre vers un travail de collaboration, éviter une situation d’hostilité, a fait remarquer avec justesse, a posteriori, la juge Dominique Andréassier, qui a mené les débats tout au long des 4 mois de procès de 2011.
Au cours d’un colloque organisé à Aix-en-Provence par l’Institut de formation universitaire du transport aérien, Christophe Régnard, évoquant la difficile cohabitation entre le monde aérien et le judiciaire, avait évoqué un choc des cultures. Et d’ajouter qu’il était souhaitable de poser un regard neuf sur une dichotomie exprimant un souhait de progrès par le biais de remises en cause. Dans cet esprit, à condition de s’y prendre à temps, c’est-à-dire dès maintenant, le rendez-vous de Versailles de mars pourrait sans doute gagner en intérêt, en valeur et en utilité.
Pierre Sparaco - AeroMorning