Ca continue. dans Valeurs Actuelles (si, si, vous avez bien lu) cette fois, Eric Branca se dit que Bayrou pourrait bien nous surprendre. Et ça a l'air de lui plaire.
Valls n’a peut-être pas tort. Mais en politique, les dénégations sont parfois des aveux, et souvent des indices. Pourquoi, de fait, éprouver le besoin de répéter sur tous les tons qu’on n’est pas inquiet ? On se souvient du fameux « Circulez, y a rien à voir ! » par lequel Philippe Séguin avait, en 1994, déstabilisé la campagne d’Édouard Balladur au profit de celle de Jacques Chirac, en se servant comme d’une arme de la faiblesse présumée du second et de la victoire prétendument acquise du premier. À l’époque, certains instituts n’hésitaient pas à créditer Balladur de trois fois plus d’intentions de vote que Jacques Chirac, “sondé” à 12 %… Et à qui Nicolas Sarkozy avait suggéré, début 1995, de se retirer pour permettre à son candidat d’être élu au premier tour !
Dix-sept ans plus tard, la situation de Bayrou rappelle un peu celle du Chirac d’alors, qui ne nourrissait aucun doute sur sa bonne étoile et faisait pareillement sourire quand il parlait au futur, et non au conditionnel, de ce qu’il ferait : même présomption d’usure après deux échecs successifs à l’élection présidentielle ; même isolement provoqué par le passage à la concurrence de leurs principaux lieutenants ; même tentation, chez eux, de renvoyer dos à dos les solutions du passé, de gauche comme de droite. Celles qui, selon Chirac, avaient provoqué la fameuse “fracture sociale”. Celles contre lesquelles Bayrou veut réagir, s’il est élu, par l’union nationale…
Bien sûr, comparaison n’est pas raison : Chirac, même lâché par la moitié du groupe RPR de l’Assemblée, gardait la main sur un parti puissant et riche – d’où les difficultés des balladuriens pour se financer (lire l'article de Gilles Gaetner : "Karachi : l'Elysée dans la ligne de mire") – , alors que Bayrou a vu la quasi-totalité de ses députés rejoindre Sarkozy en 2007.
Mais en même temps, la crise est passée par là. Et l’ébauche d’une “troisième voie”, qui avait pu séduire les Français quand Chirac l’avait esquissée, en 1995, au sortir de l’impitoyable guerre des clans qu’avait été la seconde cohabitation, semble les séduire plus encore au crépuscule d’un quinquennat prodigue en psychodrames et, tempête économique oblige, en promesses non tenues et en nouveaux chômeurs.
Conséquence directe du désarroi ambiant ? Jusqu’alors marginal, le souhait d’un gouvernement d’union – comme en 1944 pour reconstruire le pays ou, dans une moindre mesure, comme en 1958, pour faire naître de nouvelles institutions – semble devenu majoritaire dans l’opinion. Selon une étude réalisée pour RMC par le CSA, et rendue publique le 15 décembre dernier, 55 % des Français souhaitent ainsi voir se constituer “un gouvernement d’union nationale après l’élection présidentielle, regroupant des personnalités politiques de gauche, de droite et du centre”.
Pur hasard ? C’est à la mi-décembre, aussi, que François Bayrou, qui défend depuis 2002 l’idée d’un gouvernement des meilleurs et ne cesse, depuis 2007, d’alerter l’opinion sur les dangers de l’endettement public, a recommencé à exister significativement dans les sondages. Non seulement en termes d’intentions de vote (il est passé, en un mois, de 6 à 14 %, au point de talonner, selon OpinionWay, Marine Le Pen) mais aussi et surtout en termes de crédibilité : le mois dernier, le candidat centriste a vu sa cote de popularité bondir de 7 points avec 64 % de bonnes opinions, selon le dernier baromètre Ifop pour Paris Match, passant de la onzième à la cinquième place et devançant pour l’occasion François Hollande, en recul de 3 points à 57 %.
En dix ans, il a bouleversé l’image du centrisme
Est-ce suffisant pour donner corps aux espoirs du président du MoDem ? Le fait que les socialistes martèlent que François Hollande reste le meilleur pour battre Nicolas Sarkozy, mais aussi que l’UMP ménage désormais Bayrou (« Il est de la famille », expliquent au jourd’hui ceux qui le dépeignaient, hier, sous les traits d’un allié objectif du PS) démontre que quelque chose a changé. Et les états-majors le savent bien : ce qui se produit à quatre mois d’un premier tour n’est jamais innocent. C’est en janvier 1995 que Chirac avait entamé la percée qui devait le conduire à supplanter Balladur, après que leurs courbes se furent croisées en février ; en janvier 1988, encore, que ce même Chirac avait dépassé Raymond Barre, grand favori pour le second tour face à François Mitterrand…
Mais le contre-exemple existe aussi : après avoir atteint la barre fatidique de 14 % d’intentions de vote à l’élection de 2002, Jean-Pierre Chevènement avait, dès la fin janvier de cette année-là, entamé le reflux qui devait le conduire, au bout du compte, à ne recueillir que 5,3 % des voix…
Seule chose certaine, en ce début d’année : la percée de François Bayrou n’est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative. À force d’indépendance d’esprit, le président du MoDem a fait davantage que renaître de ses cendres, lui qu’on disait définitivement marginalisé après sa défaite de 2007 (18 % au premier tour, plus de groupe parlementaire à l’issue des législatives). Il a aussi profondément renouvelé l’image du centrisme politique sous la Ve République, assimilé à un supplétif de la droite louchant éternellement vers la gauche – au point, entre 1988 et 1991, de permettre au gouvernement Rocard, minoritaire à l’Assemblée, d’échapper à plusieurs motions de censure !
Fidèle au christianisme social qui fut celui de l’ancien MRP (celui d’Emmanuel Mounier et, après-guerre, du grand philosophe Étienne Borne, mort en 1993 et que Bayrou fréquenta jusqu’au bout), le président du MoDem a su rompre avec les travers politiques de la famille démocrate-chrétienne, « ces enfants de chœur, disait de Gaulle, toujours prêts à boire les burettes ». Pendant qu’à l’UMP les petits-fils du Général votaient comme un seul homme la réintégration de la France dans l’Otan, lui votait contre, au nom du maintien de l’indépendance nationale et européenne.
Comme l’écrit sur son blog l’ancien procureur général Philippe Bilger, cette émancipation est la preuve que « le temps du centrisme automatique, comme il y a des conduites automatiques, est révolu ». Celle, aussi, qu’il ne faut jamais « tourner en dérision une confiance absolue en son destin, non pas abîmée mais nourrie par les échecs. Il y a un moment, peut-être, où le sort se lasse et où la volonté fait la différence ». L’avenir dira jusqu’où…
Éric Branca