Nasr Eddin le prêcheur

Publié le 03 mars 2008 par Zorbas
Je vais vous donner sur ce blog quelques exemples non exhaustifs de la philosophie soufie, au travers d'anecdotes dont le héros est Nasr Eddin Hodja.

Ce personnage est très populaire en Orient. Je l'ai connu en Grèce, où ses blagues circulent de bouche à oreille et sont libres de tout droit d'auteur.

Mais il a suivi l'envahisseur Turc, depuis 1453, date de la chute de Byzance, jusque dans les années 1830 (1821 est un symbole comme le 14 juillet 1789 pour la France), avènement d'Othon de Bavière venu régner sur le peuple "libéré" grec -libéré du joug turc, oui, et encore pas tout le pays.
Le nord, la Thrace notamment, n'a été libéré qu'après les guerres balkaniques du début du XX° siècle. De même pour la Crète et de nombreuses îles Egéennes.
Et encore, cela est consécutif à l'exode de Smyrne. De nombreux Grecs vivaient en Asie Mineure, sur les côtes turques, depuis fort longtemps.
C'était le cas de mes aïeux paternels.
Or, Kemal Ataturk et les Jeunes Turcs ont voulu libérer le pays de tous ses métèques.
L'Arménie, du moins ce qu'il en reste, s'en souvient encore avec rancoeur.
Mes ancêtres ont eu le choix des pieds-noirs, la valise ou la vie.
Il y a d'autres minorités, dont les kurdes, mais mon propos n'est pas de faire l'histoire de la Turquie.

C'était une parenthèse pour vous expliquer, au travers de mon histoire, que le Hodja est un personnage populaire au Proche-Orient et en Europe Occidentale.

Pour la bibliographie, et votre édification, je vous recommande:
- Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja, chez Phébus
- Sagesse des idiots, au Courrier du Livre
- Les plaisanteries de l'incroyable mulla Nasrudin, même éditeur
- Les subtilités de l'inimitable mulla Nasrudin, même éditeur.
Les liens suivants également: lien1, lien2, lien3, Wikipedia

Un texte très ancien décerne à Nasr Eddin Hodja le titre d' "idiot complet".
Cette qualification n'est en aucun cas un blâme, mais bien plutôt un éloge. Elle signifie que le Hodja (ou mollah) est un "idiot accompli".
Comme d'autres accèdent à l'illumination, il a atteint le stade suprême et sublime de l'idiotie.
Il est donc bien souvent question de raisonner (résonner ?) par l'absurde.

Ne perdons plus de temps.
Je vous livre ma prochaine perle:

Nasr Eddin est de passage dans une petite ville dont l'imam vient de mourir.
Les habitants, le prenant pour un saint homme, lui demandent de prononcer le sermon du vendredi.
Il monte donc en chaire et interpelle les croyants:
- Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
- Non, non ! font les fidèles, nous ne le savons pas.
- Comment ? fait Nasr Eddin en colère, vous ne savez pas de quoi je vais vous parler dans ce lieu saint !!! Je n'ai rien à faire avec de tels mécréants.
Et il quitte derechef la mosquée.

L'assistance est médusée. Elle se convainc qu'elle a là un homme d'une extrême piété.
Le vendredi suivant, le Hodja remonte en chaire:
- Chers frères, savez-vous à présent de quoi je vais vous parler ?
- Oui, oui ! font les fidèles, nous le savons !
- Fils de chiens ! vitupère Nasr Eddin. C'est la seconde fois que vous me faites monter en chaire, pour vous faire un discours que vous connaissez !
Et il quitte à nouveau la mosquée.

L'assemblée est perplexe.
Comment faire pour qu'un tel saint répande enfin ses lumières ?
Un des croyants propose, après moultes délibérations, que la moitié réponde à la question: oui; et que l'autre moitié réponde: non.
Ainsi fut fait.

Le vendredi suivant, le hodja monte en chaire:
- Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
- Oui, oui ! fait la moitié des fidèles, nous le savons !
- Non, non ! fait l'autre moitié des fidèles, nous ne le savons pas.
- A la bonne heure, jubile Nasr Eddin. Dans ces conditions, que ceux qui savent en instruisent ceux qui ne savent pas.