La dynamique de la situation
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L'Irlandais de John Mikael McDonagh
L’Irlandais est un film qui pointe clairement dans la direction du polar contemporain pour lequel l’intrigue est un révélateur des ressorts non seulement psychologiques, mais surtout sociaux de ses protagonistes. Peu de scènes d’action cependant, souvent traitées de façon elliptique (accident hors champ, fusillade sobre…). Les dialogues sèment les références philosophiques et littéraires, avec citations de Nietzsche ou Gontcharov. Les personnages sont bien évidemment à la fois solides et fragiles, des rochers pleins de failles que les événements ne manqueront pas d’élargir. Enfin, le décor est planté dans un cadre on ne peut moins exotique et pourtant suffisamment décalé pour que l’on n’ait pas à se soucier de sa vraisemblance. Un duo constitué de Boyle, un policier irlandais basé sur la côte du Connemara, et Everett, un agent du FBI chargé d’encadrer une opération contre un arrivage massif de cocaïne. Le premier cumule tout ce qui peut représenter un handicap aux yeux du second : rapport ambivalent à la loi et à la morale, embonpoint nourri par la consommation régulière de bière, respect limité de l’autorité hiérarchique… L’Américain, pour sa part, est la figure managériale par excellence, qui suscite la fascination des pointures de la police dublinoise et le dédain des autochtones qu’il peine à aborder concrètement. Mais, comme dans tous les bons polars, les vraies trouvailles se trouvent du côté des truands : une équipe de trois « professionnels » qui tiennent les plus hauts représentants de l’ordre à leur botte en combinant menaces de sociopathes et corruption active. Aussi dissemblables que possible dans leurs caractères, ils partagent pourtant une impérieuse nécessité d’imposer leurs points de vue en faisant assaut de culture livresque.
Un autre trait commun est constitué par le fait que leurs questionnements existentiels récurrents les conduisent à considérer le monde autour d’eux avec un mélange de lucidité et de résignation. Dans une scène clé où un policier corrompu s’enquiert de recevoir le prix exact de sa compromission, un truand expose d’ailleurs la vérité nue qui sous-tend l’action de tous les protagonistes, la dynamique de la situation, comme il le dit : « mettez un paquet de fric sur la table et tout le monde finira par se régler sur ce métronome ». Les oppositions de circonstances, les rôles de chacun, finissent toujours par s’imbriquer les uns dans les autres, confirmant ainsi la prééminence de ce totem insatiable, l’argent. Quant à celui qui lui manifeste quelque dédain, comme Boyle, on ne sait plus s’il faut le considérer, selon les propos même d’Everett, comme « un putain de génie ou un putain d’idiot ».
Éric Arrivé
L’Irlandais (titre original : The Guard), film irlandais de John Mikael McDonagh, 2011.