Magazine Cinéma
L'équipe de Cineblogywood accueille un nouveau membre (bon, manque de pot, encore un mec). Bienvenue à Manny Balestrero, pas coupable mais responsable de ce premier post sur le nouveau Clint Eastwood. Enjoy ! Anderton
En salles : Edgar J. Hoover est un monument de l’histoire contemporaine américaine. Quarante-huit ans durant, sous huit présidents différents, il aura dirigé d’une main de fer le célèbre FBI (Federal Bureau of Investigation). Ecoutes clandestines d’hommes politiques ou d’artistes, chantages, filatures, fichage de tous ceux qui pouvaient apparaître comme contestataires au pouvoir entre 1930 et 1970, il n’hésita pas à employer les méthodes les plus liberticides pour parvenir à son obsession : préserver les Etats-Unis du péril révolutionnaire. "Le communisme n’est pas un parti politique, mais une maladie", aimait-il à dire.
On aurait aimé qu’un jour, le regretté Alan J. Pakula (Klute, Les Hommes du Président) s’attaque à J. Edgar. Finalement, Clint Eastwood, l’homme qui ausculte au plus profond les âmes, s’y est attelé. Bien aidé par le scénariste Dustin Lance Black (on lui doit Harvey Milk), Eastwood a évacué d’emblée l’idée d’un biopic classique, préférant procéder à une percée au cœur de la faille du "roc" Edgar J. Hoover : son surmoi.
(Ef)Fusion
Pour cerner cette faille, cherchez la femme - et quelle femme ! - : Annie Hoover (Judi Dench, merveilleusement glaçante), la propre mère du patron du FBI. Autoritaire, castratrice, ultraconservatrice, ancrée dans son époque où tout ce qui était différent (les individus classés à gauche, les noirs…) était de facto nuisible et susceptible de provoquer le chaos dans le pays, elle était aussi hantée par l’homosexualité. "Je préfère avoir un fils mort qu’un fils de la jaquette", dira-t-elle un jour à son fils tout juste adulte... Une sentence qui raisonnera longtemps, semble-t-il, dans l’esprit tourmenté de Hoover qui ne se sentira à l’aise qu’entouré d’hommes.
L’un deux jouera un rôle essentiel tout au long de sa vie : son fidèle bras droit au Bureau, Clyde Tolson (l’élégant Armie Hammer, l’un des jumeaux Winklevoss dans The Social Network). Dans les bons et surtout les mauvais moments, Tolson rassure Hoover qui en fait son seul et unique confident au décès de sa mère. A tel point que Hoover n’imagine pas de s’éloigner un instant de lui, partageant déjeuners, dîners, congés, week-ends à ses côtés.
Clint Eastwood décrit avec minutie le partage des rôles dans ce couple quasi-fusionnel. A Hoover la gloire médiatique et l’influence politique, à Tolson le rôle d’éminence grise. Un job déterminant : n’est-il pas le seul à se permettre de critiquer les atteintes systématiques aux libertés publiques du patron du FBI ?
Eastwood aspire Hoover
Leonardo DiCaprio est bluffant dans le rôle de Hoover, qu’il campe de 20 à 77 ans ( !). Du jeune bouledogue bondissant sur son vélo au vieux comploteur isolé du monde extérieur entouré de Clyde Tolson, donc, et de sa fidèle assistante Helen Gandy (la subtile Naomi Watts, toute en retenue), l’acteur réalise un numéro épatant avec un sens aigu du détail. Il faut voir la gestuelle de DiCaprio jouant un Hoover vieillissant. Vouté mais le menton – prognathe - toujours bien relevé, s’appuyant contre les murs pour accompagner une démarche hésitante : tout sonne incroyablement juste.
Les maquilleurs ont su user de techniques crédibles (prothèses faciales, appareil dentaire, double paire de lentilles, tube nasal accentuant la concavité du nez) pour faire vivre – et bien vieillir - le personnage de Hoover. On regrettera en revanche l’excès de silicone gonflant exagérément le visage de Tolson.
Le défi de Clint Eastwood est brillamment relevé. En aspirant l’inconscient de Hoover, il restitue une vision moins binaire du personnage, susceptible d’intéresser à la fois le passionné de politique américaine et l’amateur de portraits psychologiques.
Manny Balestrero