La Turquie dans l'Union européenne et l'histoire

Publié le 23 février 2008 par Rotru
Dans son plaidoyer pour une ÂŤ banalisation Âť de l'examen de la candidature
turque à l'Union européenne, M. MILLER rappelle, à juste titre, que les
critères d'adhésion ont jusqu'ici été essentiellement politiques ou
économiques. Le concept d'EUROPE, censé définir le projet du traité de Rome,
fut d'abord celui d'une Europe occidentale coincée entre l'océan et le
rideau de fer même si de Gaulle n'hésitait d'emblée à l'élargir de l'Atlantique
à l'Oural (c-à-d y compris l'Ukraine, la Russie d'Europe, l'Arménie, la
Géorgie, la Biélorussie,.). La Turquie d'Europe ne regroupe pas la plus
grande partie de la population turque mais n'en est pas pour autant
négligeable : Istanbul, déjà avec ses seuls quartiers anciens de la rive
occidentale du Bosphore est une des plus grandes villes européennes.
Pour d'aucuns, la question ne serait pas d'ordre géographique mais d'une
autre nature : celle d'une Europe idéalisée évoquant confusément ses racines
pour rejeter une candidature intruse qui ferait peur. Que quelques millions
de Bosniaques ou d'Albanais musulmans adhérent, le moment venu, à l'UE ne
bouleverserait pas son équilibre global alors qu'un pays de 90 millions en
serait le plus peuplé d'autant que les autres grands états membres sont en
phase de déclin démographique (spécialement l'Allemagne).
Face à ce poids démographique turc, les récentes déclarations à Cologne du
Premier ministre Erdogan devant ses compatriotes ou anciens compatriotes
comparant l'assimilation au génocide ne sont pas un élément très rassurants.
M. MILLER tente pour sa part de démontrer que sur les plans philosophiques
ou culturels, la Turquie a autant de filiation que nos contrées. Certes, une
escapade vous permet d'y admirer des sites hittites, des ruines d'anciennes
villes grecques ou romaines, des vestiges de la splendeur byzantine sans
parler des anciennes étapes des premiers chrétiens dont saint Paul. Cela dit
ces arguments soit ne sont pas spécifiques à la Turquie, soit sont écornés
par la réalité.
Jusqu'à la prise de Constantinople, la continuité historique peut se
concevoir mais 1453 marque une rupture très nette. Les nouveaux maîtres sont
l'émanation d'une population plus récemment arrivée en Anatolie. Les juifs
et les Chrétiens sont vite soumis au régime des minorités sous l'islam avec
des périodes de relative quiétude et d'autres plus dramatiques.
La fin de l'Empire ottoman verra l'avènement d'une Turquie laïque dont la
délimitation du territoire spécialement dans la partie dite européenne avec
la Grèce va entraîner des déplacements de populations, chrétiennes ici, là
musulmanes, qui seraient aujourd'hui qualifiés d'épuration
ethnico-religieuse, qui auront pour effet bénéfique d'éviter les conflits qu'a
connus dernièrement l'ex-yougoslavie. La Cappadoce est magnifique, mais
hormis les sites protégés pour le tourisme, les admirables chapelles
taillées dans le roc y servent aujourd'hui de magasin à fourrage ! A
Istanbul, siège du patriarcat orthodoxe historique, ce dernier n'a guère de
liberté d'initiative et peine par exemple à réorganiser un séminaire. Pour
se reconstruire après l'effondrement de 1914-1918, la Turquie s'est lancée à
la fois dans la modernité occidentale tout retrouvant une homogénéité
culturelle.
La Turquie moderne n'accepte toujours pas de reconnaître (non pas sa
responsabilité mais l'existence) du génocide arménien qui lui est pourtant
antérieur.
Cela dit les arguments du député montois concernant les traces de racines
semblables aux nôtres se retrouvent sur tout le pourtour méditerranéen où
les influences hellénistiques, romaines, phéniciennes ou judéo-chrétiennes
furent nombreuses : l'Egypte (avec sa dynastie ptolémaïque et ses coptes
toujours présents), le Maghreb (Carthage et Saint-Augustin) voire la
Palestine/Israël et le Liban/Syrie en sont quelques exemples. Les arguments
de M.MILLER doivent-ils conduire à les intégrer dans l'UE d'autant que
certains (le Maroc) l'ont demandé ?
Le dernier critère évoqué par l'ancien Ministre de la Culture, celui du
régime démocratique est plus un élément d'exclusion (en cas d'insuffisance)
que d'adhésion : selon nos conceptions la démocratie étant universelle elle
s'est heureusement développée sous d'autres latitudes et continents. Pour le
surplus, elle n'a pas empêché une Pologne jusqu'il y a peu « fondamentaliste
chrétienne » à donner fréquemment de la voix dans les instances
communautaires européennes.
En conclusion, l'examen de la demande d'adhésion de la Turquie ne peut
reposer que sur des considérations d'opportunités politique (stabilisation
de la région, constitution d'un lien avec le Proche-Orient,.) et économique
(une population jeune, une économie dynamique, un réservoir de main d'ouvre,..).
Cela dit les instances européennes et les gouvernements nationaux devraient
arrêter de jouer au chat et à la souris. Les éléments pour prendre une
décision de principe claire sont sur la table. Arrêtons de faire semblant de
négocier sur les détails du contrat d'adhésion en laissant son principe même
en suspens. C'est vexant pour les Turcs et c'est prendre l'opinion publique
européenne pour une grande naïve. L'indécision prolongée pourrait avoir chez
les 27 Etats membres et en Turquie des conséquences plus dramatiques qu'une
décision ferme (positive ou négative).
D. ROTRU