Il est signé Bill Robinson et est paru dans le Huffington Post (The New 'Digital Divide' - 3 Janvier), La nouvelle 'Fracture Numérique'.
Traduction (rapide) et discussion...
- L'article:
"Il y a peu de temps, alors que j’étais assis dans le petit bar de mon quartier de New-York, je fis une constatation troublante : il y avait là 14 personnes, hommes et femmes, assis au bar, et chacun d’entre eux, chaque personne, utilisait un smartphone, leurs visages éclairés par la faible lueur des écrans.
Je savais, de fait, que trois au moins des femmes du bar étaient célibataires et avaient au moins la quarantaine – et, même en étant sur Match ou eHarmony à ce moment précis cherchant des chevaliers servants – ne voyaient-elles pas qu’elles avaient simplement à laisser tomber leur omniscient, omnipotent, omniprésent appareil et engager la conversation avec l’homme assis à côté ? Et qu’alors, sans leurs petits démons accaparants toute leur attention, quelque chose d’inattendu, d’imprévisible, pourrait peut-être se produire…quelque chose comme une conversation, une vraie conversation.
Ou un baiser. Peut-être même une proposition.
Deux statistiques alarmistes sous tendent cet article :
1) Selon Morgan Stanley, 91% des Américains gardent leur téléphones portables à portée de main 24H/24, 7J/7. Ceci ne peut pas être une bonne chose.
2) Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité nous allons passer plus de temps devant des écrans allumés que de temps à dormir. Ca non plus, ce n’est pas une bonne chose.
Sans doute avez-vous comme moi déjà fait l’expérience de vous frayer un chemin à travers la foule compacte des trottoirs de Manhattan (ou de toute autre ville du même acabit), en croisant une sorte de drone connecté qui vous rentre presque dedans en envoyant ses textos. Ou une armée d’entre eux ; ils déferlent par vagues, absorbés en eux-mêmes et ‘communicants’ comme si leur vie en dépendait. (…)
Maintenant, peut-être que je me trompe depuis le début, mais je pensais qu’Internet et toutes ces technologies dotées de terminaux qui sont des prolongements de nos corps, étaient censées nous rapprocher tous autant que nous sommes.
Pourquoi ce sentiment que la technologie est en train d’éloigner les gens ? (…)
Nous ne nous sommes pas du tout rapprochés. Nous sommes bien séparés lorsque nous conversons via nos iPhones ou que nous envoyons des textos à nos épouses ou nos maris depuis nos smartphones.
Ne voyez-vous pas que tout cela ne crée aucun contact humain, personnel, quand nous ‘communiquons’? Nous pouvons nous rapprocher (de l’autre) uniquement via le contact direct, face à face, là ou une poignée de main ou un sourire, une accolade ou un baiser sont donnés réellement ; et pas un smiley ou tout autre emoticone. Les grand-mères étaient supposées sourire gentiment en répondant aux courriels de leurs petits-enfants, échangeant les dernières photos et nouvelles. Je ne vois pas vraiment ceci se produire, les plus anciens communiquent toujours beaucoup mieux selon les usages classiques. Et, alors même que les ‘mariages Internet’ sont censés se produire, je ne connais personne qui se soit marié en trouvant quelqu’un sur le Net. En revanche, je connais à coup sûr beaucoup de couples qui se sont rencontrés la première fois à des concerts, dans des bars, des nightclubs ou au restaurant. Vous savez, ils se rencontrent, dans ce petit endroit de l’ancien temps nommé ‘monde réel’ (…).
Il semble que la seule chose avérée se soit l’explosion de l’accessibilité à l’information, au porno et aux jeux d’argent, voilà ce qui semble encore dominer les industries du cyberespace. Et ce n’est pas bon.
Les enfants étaient censés apprendre exclusivement sur leurs ordinateurs, et cela semble être une des réalités d’aujourd’hui: la plupart des enfants sont équipés d’iPads fournis par leurs parents qui en ont les moyens ou les écoles, mais remarquez, j’ai dit ‘la plupart’. Est-ce que tous les enfants ont accès à l’éducation via des ordinateurs ? La plupart assurément, non.
Le ‘Digital Divide’ d’origine – concernait le manque d’ordinateurs ou d’accès Internet pour ceux qui ne pouvaient se l’offrir. C’était censé être un problème sérieux qui, s’il ne trouvait de solution, porterait atteinte à notre économie. Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui quand je vois les effets de la ‘technologisation’ et les économies parallèles qui n’utilisent pas la technologie.
Ça serait drôle non si un de ces jours une étude du MIT révélait la vérité telle qu’elle est ? ‘Les personnes qui n’ont pas d’accès Internet et pas de smartphone sont plus heureux, tendent à être heureux en couple et présentent seulement 2% de taux de chômage.’"
Que penser de cet article?
Il y aura surement des petits malins pour souligner que si l'auteur se plaint des femmes de 40 ans et plus qui l'ignorent à un bar au lieu d'engager la conversation avec lui...c'est qu'il s'y prend mal!
Passé ce préambule, je ne suis évidemment pas d'accord sur nombre de points.
Oui, la fracture numérique demeure réelle lorsque l'on évoque l'accès aux ordinateurs pour tous et/ou à Internet (et à comment s'en servir de façon la plus autonome possible). Et oui, le commerce a pris le pas dans nombre de cas.
Pour le reste, sans doute l'auteur grossit-il le trait - version new-yorkaise et un peu provocatrice - pour mieux servir sa démonstration, mais...
Il faut arrêter de dire que communiquer par Internet ou via des smartphones n'est pas communiquer. C'est une forme de communication, ni plus ni moins différente dans ce qu'elle représente que d'autres issues du temps non digital.
Elle est plus rapide et plus intrusive (mais c'est à nous de la réguler).
Elle permet le rapprochement, car elle permet d'échanger, de partager: des savoirs, et des idées, et oui, des opinions. Elle autorise aussi des rapprochements de cultures qui ne pouvaient se faire ainsi et comme jamais cela n'a été possible.
Elle ne donne pas naissance à des individus qui oublient ce qu'est le contact humain.
Bon nombres de contacts dits 'virtuels' sont réels et chaleureux (ce sont des individus derrière les ordinateurs). Et oui, il y a des grands parents qui utilisent ces technologies, comme des rencontres solides qui se font ainsi. Quant aux 'jeunes', ils utilisent ces appareils et technologies comme des prolongements de leur vie quotidienne - et pas des exclusifs qui n'autoriserait pas le 'monde réel'. Il y a bien sûr et des exceptions, et des excès.
Ce n'est pas parce que bon nombre d'individus sont recroquevillés sur eux-mêmes et leurs problèmes, jetés dans un monde incertain et en crise, qu'il faut en accuser ces technologies. Elles sont plutôt la résultante de cela (échappatoire ou sécurisation pour certains).
Et si le monde d'aujourd'hui favorise la distraction, le jeu* et l'économie débridée (plutôt que la responsabilité, la pensée, l'entraide), il ne s'agit pas de technologie!
Imaginons donc l'étude du MIT - un de ces jours - qui dirait: " Les personnes qui ont décidé de prendre leurs responsabilités, de penser par eux-mêmes, de favoriser l'entraide et l'attention aux autres sont plus heureux que ceux qui vivent recroquevillés sur eux-mêmes"...
Qu'en pensez-vous? (et puis, aussi, tous mes voeux à chacun pour cette nouvelle année).
- Sur le jeu, petit additif: oui, en l’occurrence la technologie a permis l’essor - exponentiel - des sites de paris en ligne, autorisant blanchiment d'argent dans certains cas, mais une civilisation qui favorise à ce point ce type de pratiques a sans doute d'autres questions à penser.