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Les écrivains jouent au foot (1)
Les Naturalistes mettent les Symbolistes en échec
L’entame était à l’avantage des Naturalistes avec un centre côté droit de Maupassant pour la tête de Zola (9ème). L’auteur de Nana, en déclenchant son coup de tronche ravageur, lâchait entre ses dents : « Espèce de couleuvre ! ça n'a pas la force d'une fille !...Et veux-tu remplir ta berline ! Hein ? c'est pour ménager tes bras... Nom de Dieu ! je te retiens les dix sous, si tu nous en fais refuser une ! » (Germinal, p. 58) À ces mots, le gardien symboliste Stéphane Mallarmé, un peu chambardé, répondait avec sa voix grêle de fillette : « Non, ma vue ne peut, de l’ouverture où je m’accoude, s’échapper dans la direction de l’horizon, sans que quelque chose de moi n’enjambe, indûment, avec manque d’égard et de convenance à mon tour, cette jonchée d’un fléau; dont, en ma qualité, je dois comprendre le mystère et juger le devoir : car, contrairement à la majorité et beaucoup de plus fortunés, le pain ne lui a pas suffi - ils ont peiné une partie notable de la semaine, pour l’obtenir, d’abord ; et, maintenant, la voici, demain, ils ne savent pas, rampent par le vague et piochent sans mouvement - qui fait en son sort, un trou égal à celui creusé, jusqu’ici, tous les jours, dans la réalité des terrains (fondation, certes, de temple). » (Conflit) Cette riposte n’avait pas la densité cognitive du discours persuasif du meneur de jeu Naturaliste mais elle avait au moins l’audace des timides.
La réaction des Naturalistes était vaine. Les Symbolistes dominaient et sur une nouvelle erreur de Mallarmé qui relâchait la balle, Flaubert attaquait : « Va-t'en, si tu as peur ! » s'écria-t-il ; « tu nous avais promis de la poix, du soufre, des éléphants, des fantassins, des chevaux ! où sont-ils ? » (Salammbô, La bataille du Macar). Le gardien Symboliste restait comme pétrifié sous l’effet d’illusion référentielle du propos de son adversaire. Flaubert en profitait et faisait mouche (23ème). Le réalisme dont faisait preuve les Naturalistes portait ses fruits. Ils multipliaient les occasions créatrices d’effet de réel avec un tir de Huysmans sur la transversale. Après la pause, la tendance s’inversait et les Naturalistes subissaient les attaques des Symbolistes. Mais sur un contre franchement naturel, le gardien Symboliste laissait passer le ballon. Flaubert en profitait pour le reprendre et servir Zola qui tirait dans l’axe (69ème). Les Symbolistes mettaient la pression sur son adversaire fatigué, et sur un coup franc, Verlaine marquait l’unique but de son équipe (86ème). Il laissait dire en fin de match :
« Après tout, ce bruit n'est pas
Pour annoncer mon trépas
Ni mes noces. Lors, me plaindre
Est oiseux, n'ayant à craindre
De ce conflit de sonneurs
Grands malheurs ni gros bonheurs.
Faut en prendre l'habitude ;
C'est de la vie, aussi bien :
La voix douce et la voix rude
Se fondant en chant chrétien... » (Clochi-Clocha)
Sur ce vers impair, les joueurs retournaient aux vestiaires. Les uns avaient écrit une autre page de leur roman historique déterminé par les influences du milieu (de terrain) et les autres demeuraient silencieux faisant de la défaite un symbole en attendant le retour de l’ange.