Marc-Olivier Deblanc, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle chez Barnett, répond aux questions clefs sur les droits et les rémunérations des créateurs de musique. Voici donc un point pratique pour bien différencier les acteurs et les étapes du processus de création, les droits et les rémunérations qui en découlent.
Certains appels d’offres récents, parfois publics, ont suscité une forme de polémique sur le traitement des droits et des rémunérations des créateurs. Beaucoup d’acteurs s’interrogent même sur la légalité de certaines demandes qui visent à ne pas payer de droits ou à forfaitiser une cession avec un paiement unique. Que pensez-vous de ces demandes ?
A titre liminaire, il convient de rappeler que le droit d’auteur français fait bénéficier au créateur d’une œuvre musicale originale une rémunération en principe proportionnelle aux fruits tirés de l’exploitation de cette œuvre (reproduction de l’œuvre sur un support, diffusion de l’œuvre, vente de l’œuvre). Il faut garder à l’esprit que la rémunération proportionnelle, c’est-à-dire calculée sur les profits tirés de l’œuvre, demeure le principe en droit français. La rémunération forfaitaire doit rester une exception strictement limitée. Ainsi, le législateur vient-il encadrer les cessions pour lesquelles une rémunération forfaitaire pourrait être prévue et c’est le cas notamment lorsque la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ou lorsque les moyens mis en œuvre pour déterminer et contrôler la participation proportionnelle seraient hors de proportion avec le résultat à atteindre. C’est également le cas selon l’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle lorsque « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle lorsque notamment la contribution de l’auteur ne présente qu’un caractère accessoire au regard de l’œuvre exploitée ».
Ces cas sont globalement assez théoriques voire abscons ou imprécis. Dans la pratique, les contrats prévoient toujours des modes de rémunération proportionnelle (souvent directement versées par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective) et concomitamment le versement d’une somme forfaitaire à déterminer à l’issue de discussion entre les parties.
Se pose également la question du droit de synchronisation. Ce n’est pas un droit issue de la loi mais une création des usages visant à valoriser l’acte d’association du son à l’image. Cela implique une autorisation des ayants droit en plus des coûts de reproduction et de diffusion, dans le mesure où ceux-ci doivent pouvoir décider à quelle(s) image(s) / marque(s) ils acceptent que les œuvres soit associées. Le droit de synchronisation est ainsi une manière de patrimonialisation (ou plus cyniquement de monétisation) d’un droit moral.
Même si le code de la propriété intellectuelle peut viser les cas d’une cession à titre gratuit (article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle : « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou onéreux »), cette disposition est réservée aux libéralités, donc hors ce cas particulier les règlements forfaitaires sont prohibés.
Je crois que ces demandes de paiements forfaitaires résultent de l’idée que se font les commanditaires que les paiements proportionnés impliquent une lourdeur administrative et qu’ils souhaitent une plus grande maitrise du budget (« on paye une fois pour toute, il n’y aura pas de mauvaise surprise »). Cette impression est le plus souvent erronée, c’est pourquoi nous invitons à appliquer les principes légaux en la matière.
Certains annonceurs ont du mal à faire la distinction entre les honoraires d’un créateur et les droits qu’ils réclament. Comment abordez-vous cette question avec vos clients ?
C’est en effet une question récurrente des clients. Nous devons faire œuvre de pédagogie auprès des auteurs d’une part et des commanditaires d’autre part, pour que chacun comprenne ce qu’il faut payer, comment il convient de le payer et pour quel type de prestation.
L’auteur doit savoir distinguer la nature de sa prestation. Lorsqu’il compose une œuvre musicale, l’exploitation de l’oeuvre génère des revenus, qui proviendront pour l’essentiel de la société de gestion collective dont il est membre (ex. SACEM-SDRM), mais il pourra également percevoir une prime d’écriture ou une forme d’avance à recouper sur des revenus à venir ou une forme de licence à définir. Enfin si le créateur dispose de son outil de production, il devra envisager de se faire rémunérer la prestation de réalisation sous forme d’honoraires dans le cadre d’un contrat de prestation de services. Les honoraires rémunère un travail, les droits rémunère l’exploitation de ce travail.
Nous insistons toujours auprès des artistes pour qu’ils sachent précisément en quelle qualité ils interviennent. Les modes de rémunérations (et le traitement fiscal et social des sommes) sont dans chaque cas différents.
De même pour pallier aux risques d’une éventuelle remise en cause de ses accords avec les créateurs, le commanditaire doit veiller à bien distinguer la nature des prestations qu’il sollicite. Le plus souvent des pans entiers de rémunération sont oubliés (en payant l’auteur on croit payer la prestation de l’artiste, ou en payant une prestation de services on croit payer les droits d’auteurs). En réalité les règles sont très simples, le maître-mot étant de segmenter et de fragmenter les activités pour éviter toute confusion.
Il faut donc des réglements distincts. En matière de musique, les annonceurs payent généralement deux types de droits : les droits d’auteurs d’une part, généralement perçus par la SACEM, et les droits de producteurs, souvent gérés par des sociétés de type SCPP ou SCPA. Est-il possible que les créateurs facturent directement ces droits à leurs clients ? Si oui, à quelles conditions ces facturations sont-elles licites ?
Il convient en effet de distinguer les droits d’auteur attachés à l’auteur compositeur et à l’éditeur de l’œuvre, des droits voisins attachés à l’artiste-interprète et au producteur. En matière de musique, il faut également distinguer parmi ces droits ceux qui sont gérés par les sociétés de gestion collective de ceux qui ne le sont pas. La Sacem va, par exemple, collecter auprès des diffuseurs les droits afférents à la diffusion publique de l’œuvre. Ce type de rémunération est à distinguer du forfait versé à l’auteur en contrepartie de la cession de ses droits sur son œuvre. Lorsqu’un annonceur sélectionne un titre pour le synchroniser sur film publicitaire par exemple, il négocie d’une part l’utilisation de l’œuvre auprès de l’éventuel éditeur et d’autre part le support physique auprès du producteur. L’annonceur rémunère donc directement cet éditeur et ce producteur, à charge pour eux par la suite de reverser sa part à l’auteur en vertu des contrats qui les lient.
L’auteur membre d’une société de gestion collective doit apporter à cette dernière ses droits ne pouvant être céder deux fois : une telle double cession est illicite. Toutefois rien n’interdit d’ajouter aux sommes issues de la gestion collective une rémunération sous forme de prime de commande qui échappe donc à la gestion collective.
Peu de responsables de marque ont une vraie compréhension des enjeux liés aux droits dans la musique. Quel conseil donneriez-vous en matière juridique à un directeur de la Communication d’une entreprise qui a besoin de musique pour ces outils de communication ? Que doit-il demander, s’il décide de mener un appel d’offres, en matière de droits ?
Il faut comprendre qu’aujourd’hui aucune marque ne peut se développer sans une véritable identité sonore associée à l’identité visuelle. La musique est devenue une partie intégrante de l’ADN des marques. Les exemples d’associations fructueuses marque-musique sont de plus en plus nombreux.
Un deal classique en matière de commande comprend la signature d’un contrat de commande. Il est en principe divisé en trois parties pour la part de rémunération :
- le paiement de droits d’auteurs versés directement à la société de gestion collective (SACEM notamment) avec le cas échéant une avance ou une prime de commande.
- le paiement des honoraires pour la prestation de services associée au contrat
- le paiement des droits voisins (droit de l’interprète notamment), en particulier dans l’hypothèse de l’exploitation de l’oeuvre sous forme de phonogramme
En revanche, en matière de synchronisation, les droits sont gérés directement par les ayants-droit de l’œuvre que sont en principe l’éditeur et le producteur. Dans ce cas, il conviendra de se rapprocher de ces derniers pour solliciter leur autorisation et fixer la rémunération au titre de l’exploitation envisagée.
Dans tous les cas il est utile de solliciter les recommandations d’un conseiller pour maitriser les tenants et aboutissants des contrats à négocier.