Récemment installé dans le Boulonnais dont je découvre les tempêtes et le welsh(1), je suis bien sur les rebondissements de l’affaire Seafrance et la proposition de la CFDT Maritime Nord, via son secrétaire général Didier Cappelle, de créer une SCOP(2) en partie avec les indemnités de licenciement des 880 emplois concernés. Un point de vue naïf consisterait à penser que voilà une entreprise fièrement défendue par son syndicat mais qui, coulée par la mauvaise gestion de ses patrons (dont la SNCF, propriétaire des 5 navires Seafrance), tente une sortie par le haut en créant une entreprise d’économie sociale et solidaire autogérée et devrait, si l’Etat ou l’UE ne l’en empêche pas (l’UE ayant interdit le financement de la SCOP via l’Etat ou la SNCF), relancer son activité et sauver son personnel ainsi que l’économie locale qui en dépends.
Vision naïve sans doute car, pour commencer, les difficultés financières de Seafrance sont en partie dues à la toute puissance syndicale: comme le dit le diction, le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. On trouve pas mal de documents sur les pratiques bizarres en matière de recrutement du personnel dit des services généraux (ceux qui ne sont pas marins, largement majoritaires sur un ferry). Et il ne faut pas longtemps à discuter, en privé, avec d’anciens ou actuels employés de Seafrance pour en apprendre de belles sur le pillage opéré par certains membres de ce même personnel (détournement du fruit des ventes à bord, notamment) et du chantage permanent à la grève que pouvait déclencher n’importe quel délégué syndical pour des peccadilles (genre le montant de la remise sur une bouteille de whisky en duty-free). La surcharge improductive et le manque à gagner d’un côté, la perte de confiance de la clientèle de l’autre et le tout couvert par Mr Cappelle et ses sbires, ne peuvent être totalement étrangers à la déconfiture de cette compagnie.
Ceci explique peut être un élément fort surprenant du dossier SCOP, à savoir que personne – pas même Mr Cappelle – ne semble à même d’estimer le nombre d’employés qui seraient prêts à démarrer en SCOP plutôt que simplement empocher leur prime de départ. Pourtant s’il y a bien une donnée fondamentale dans la création d’une SCOP c’est le nombre et la motivation des participants, vu que chacun a une voix, vote à l’Assemblée Générale, et doit assumer ses responsabilités. Le fait de passer du statut de salarié fortement syndiqué à celui d’actionnaire, même d’une coopérative, est probablement un choc culturel très difficile à négocier pour la majorité des gens concernés mais je suspecte qu’au delà de cela il y a la crainte que la CFDT – et à priori Mr Cappelle – (re)deviendrait le patron de cette nouvelle entreprise! On peut accepter voir trouver sympathique d’adhérer à un syndicat indélicat avec ses patrons, mais se marier avec est une toute autre affaire…
Ce qui pose alors la question des motivations de la CFDT dans cette affaire. D’après le secrétaire d’Etat aux transports Thierry Mariani, juste avant le volte-face du gouvernement en faveur de la SCOP, la CFTD avait été jusqu’à refuser d’examiner d’autres plans de reprise suite au refus, par le tribunal de commerce, du plan proposé par Louis Dreyfus Armateur (qui proposait de ne garder que 460 emplois). Pourquoi ces refus d’examens? La CFDT a-t’elle décidé de mener à son terme, mordicus, une expérience de coopérative ouvrière? A titre personnel je suis tout à fait pour ce type de projet et il existe pas mal d’exemples, telles certaines mines anglaises passées en coopérative suite à la destruction de cette industrie par Thatcher dans les années 80, qui montrent la viabilité de cette approche mais ce n’est pas non plus une potion magique et une mauvaise gestion finira toujours par couler une entreprise, qu’elle soit coopérative ou traditionnelle. Et that is the question: la CFDT de Mr Cappelle peut-elle se transformer de plutôt mauvais syndicat en plutôt bonne gestionnaire d’entreprise? A contrario, peut-on imaginer que les adhérents à la SCOP, s’il se trouve suffisamment, rejettent l’emprise de la CFDT et roulent… sans syndicats?
(1) Plat local à base de cheddar fondu. Tient au ventre.
(2) Une SCOP est une société coopérative de type SARL ou SA, dont les associés majoritaires sont les salariés. Les décisions sont prises collectivement selon le principe coopératif “une personne = une voix”, indépendamment du montant de capital détenu.
Réunis autour d’un même projet économique et des mêmes valeurs, ils s’impliquent totalement dans l’entreprise. http://www.apce.com/pid596/scop.html
Billet en accès libre sur http://rhubarbe.net/blog/2012/01/03/seafrance-que-veut-la-cfdt/