Bernard © Guy Delcourt Productions - 2011
Connaissez-vous Jeanne Picquigny, une aventurière au caractère bien trempé partie à la recherche de son père en Afrique ? Et connaissez-vous Lily Love Peacock, petite-fille de Jeanne qui a hérité du caractère et de la beauté de sa grand-mère ? Si c’est le cas et que vous aimez ce genre de femmes, alors je pense que vous apprécierez Ursula.
Ursula ? C’est une jeune fille borderline, une femme-enfant. Elle doit certainement sa débauche à son lourd passé affectif : adoptée à l’âge de 8 ans par un couple d’exploitants viticoles français, Ursula est née en Pologne. Très tôt, ses parents biologiques se montrent incapables d’éduquer leur fille. Sa mère est alcoolique, son père est un délinquant qui passe la majeure partie de son temps en prison. Sa tante la confie donc à un orphelinat gérée par des Sœurs qui conçoivent l’éducation à coups de trique. Très tôt, l’enfant apprend à ne plus croire aux miracles et lorsque ce couple français décide de l’adopter, Ursula croît vivre un conte de fées. Avec eux, elle sera à l’abri du besoin.
Les années passent. Ursula a depuis longtemps appris à accepter le fantôme du fils de ses parents adoptifs décédé dans un accident de voiture. L’adolescence arrive. Ursula raffole des nuits festives et des hommes peu fréquentables. C’est à ce moment-là que son père adoptif décède. Exaspérée par les conflits perpétuels avec sa mère, Ursula décide de prendre son indépendance. Dès lors, ses seules limites sont celles qu’elle se fixe elle-même et les choix de la jeune fille ne sont pas forcément les plus pertinents. D’une amourette à l’autre, Ursula va forger sa personnalité autour de cette vie nocturne jusqu’à en faire son métier : barmaid puis stripteaseuse, elle n’hésitera pas à vendre son corps pour arrondir les fins de mois.
« Danser et baiser : les deux choses que je sais faire le mieux… Si j’arrête de danser, je meurs ».
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A la lecture des premières pages de l’album, on se dit rapidement qu’on est face à un personnage rongé par la folie. Mais ce n’est pas si simple et Fred Bernard va tout mettre en œuvre pour nous démontrer le contraire du moins, pour permettre au lecteur de tirer des conclusions moins hâtives. Car les apparences sont souvent trompeuses et pour prétendre connaître Ursula, il faut percer l’épaisse carapace derrière laquelle elle s’est réfugiée.
Ursula s’effeuille et se dévoile lentement tout au long de l’album. Fille facile ? Nymphomane ? Jeune femme effrayée à l’idée d’être seule et qui, naïve, pense trouver le réconfort salvateur chez ses partenaires ? Une nouvelle fois, Fred Bernard m’étonne. La facilité avec laquelle il développe ses personnages féminins est déroutante. Il parvient à percer leurs secrets, à décrire avec justesse leurs émotions, à y voir clair dans leurs esprits embués, à les rendre aussi vraies que nature. Ainsi, Jeanne, Lily, Ursula et Cléo peut-être (mais je n’ai pas encore lu cet album) ne se contentent pas d’animer quelques pages d’un album ; elles s’ancrent dans nos esprits. Si je ne suis pas allée jusqu’à m’identifier, je me suis pourtant imaginée en train de côtoyer ces amies si extravagantes. Et comme ses prédécesseures (Jeanne, Lily), Ursula témoigne d’un caractère affirmé. L’auteur a fouillé son parcours et le rend crédible.
Dans cet album plus que dans les précédents, l’auteur a veillé à l’aspect psychologique de son personnage. Il se développe ici autour de la question de la sexualité. Mais Ursula est un personnage à deux visages, une ambiguïté que l’auteur est parfaitement parvenu à faire coexister. D’un côté, Ursula angélique et fragile qui porte tourne la tête vers son passé pour comprendre qui elle est. D’un autre, Ursula dévergondée, dépendante au sexe et aux substances qui annihilent toute pudeur. Qu’elle soit lucide ou défoncée, elle est “cash” avec elle-même comme avec les autres. Cette franchise la sauve en quelque sorte mais la folie la guette. Tout au long de l’album, elle se met à nu au sens propre comme au sens figuré. Nymphomane ? Salope ? Nigaude ? Cinglée ? Suicidaire ? Inconsciente ? Le doute subsistera pendant toute la lecture et je pense que chaque lecteur en tirera sa propre conclusion. Mais Fred Bernard ne brosse pas le portrait d’une femme immorale. Il rend son récit intriguant, suscite de l’empathie chez le lecteur qui découvre un personnage qui préfère la présence rassurante de ses compagnons canins plutôt que celle imprévisible de ses pairs humains. Avec beaucoup d’humour, il donne vie à une jeune femme qui retient l’attention et, au passage, nous jette à la volée quelques réflexions pas piquées des hannetons :« Remarque, leurs femmes sont aussi à plaindre. Paraît qu’un tiers des mecs ont des problèmes d’érection, un tiers d’éjaculation précoce, un tiers d’hémorroïdes… Si c’est pas le même tiers qui morfle de tout, ça fait pas beaucoup de gars en bon état… ».
Enfin, un mot sur la qualité du traitement graphique de cet album qui m’a sauté à la gueule. Maîtrisé est le premier terme qui me vient à l’esprit. J’ai apprécié à quel point Fred Bernard crée ses codes graphiques pour servir et rythmer le récit. Les résultat : un album unique très imprégné de la marque de fabrique bernardesque. Les pages s’agencent en fonction des humeurs de la jeune femme. Réalisées à l’aquarelle et au crayon de couleur, les illustrations mettent en valeur les longues tirades métaphysiques du personnage, les enjolivent et leur donnent un côté mélancolique qui fait la force de l’album. A d’autres moments, le dessin est comme en ébullition, nerveux et délirant. Il ondule, s’amuse avec l’héroïne. L’auteur a créé une variété de constructions visuelles permettant de nous faire ressentir différentes ambiances. Pleine page, deux bandes de deux cases ou succession frénétique de 15 vignettes par page… la rythmique changeante des visuels donne un côté pétillant à l’univers de la jeune femme.
Avec plaisir, j’ai retrouvé le regard rieur et attentionné de Fred Bernard sur la féminité. De nouveau (voir les barionnettes de Lily Love Peacock par exemple), l’auteur varie les stratagèmes narratifs pour préciser les intonations des dialogues.
Superbe album qui, je pense, ravira les amateurs de Fred Bernard. Ils retrouveront en Ursula certaines caractéristiques des autres héroïnes de l’auteur : sensualité, force de caractère, personnalité en devenir, humour… Sautez-le pas et acceptez cette nouvelle muse et ses étonnantes couleurs car elle est charmeuse.
Si vous aimez Fred Bernard, faites-le savoir sur sa Page Facebook.
L’avis d’OliV (que je remercie pour la découverte), celui de Catherine, Zaelle et PlanèteBD.
Je partage cette lecture avec Mango et les participants aux
Extraits :« La religion ça peut-être un soutien, mais un boulet au pied aussi » (Ursula vers l’avenir et au-delà).
« - Et c’est quoi les symptômes de ta mélancolie hypocondriaque ?
- Eh bien… L’absence d’amour me rend malheureux, mais l’amour me rend malade. Et plus l’amour est fort, plu je suis malade. Et je suis tellement mal quand je suis malade que j’apprécie presque d’être malheureux » (Ursula vers l’avenir et au-delà).
« Plein de femmes adorent les serial killers. Elles achètent leurs livres. Elles leur écrivent en prison et tout et tout. Elles, c’est des malades. Moi, j’attire les emmerdes. C’est différent. C’est dans ma nature (Ursula vers l’avenir et au-delà).
« On ne choisit pas le lieu, ni l’époque, ni comment fonctionne le monde, mais on peut encore choisir la façon d’y vivre non ? (Ursula vers l’avenir et au-delà).
« Pour une fille de 20 ans, une femme de 30 ans est une vieille. Pour une fille de 30 ans, une fille de 40 ans est une vieille. Mais pour une femme de 40 ans, une femme de 50 ans est beaucoup plus inquiétante… Car cette femme-là, c’est ELLE demain. Elle le sait enfin ! » (Ursula vers l’avenir et au-delà).
Ursula vers l’amour et au-delà
Catégorie Prénom
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
Dessinateur / Scénariste : Fred BERNARD
Dépôt légal : aout 2011
ISBN : 978-2-7560-2425-7
Bulles bulles bulles…
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