Synopsis
Thierry Guetta, français émigré aux États-Unis où il possède une boutique de fripes, a l’embêtante manie de ne jamais quitter sa caméra et de filmer tout ce qu’il voit compulsivement. En voyage en France, son cousin, qui n’est autre qu’Invaders, lui permet de pénétrer dans le monde secret et marginal du street art. Muni de sa caméra, il fréquente tous les plus grands street artists (André, Fairey, Borf) et parvient même à s’accoquiner avec l’insaisissable Bansky; les cassettes s’entassent pourtant sans classement dans des boîtes en carton. Poussé par ce dernier qui voit dans ses images de précieuses archives d’un mouvement dont les oeuvres sont pour la plupart éphémères, Thierry Guetta monte les heures de vidéo pour réaliser un documentaire sur le street art. Le film qu’il présente à Banksy est cependant tellement affligeant que ce dernier décide de réaliser le film lui-même, ayant trouvé un sujet intéressant, Thierry. Afin de détourner l’attention de ce dernier et fervent défenseur du précepte selon lequel tout le monde peut faire de l’art, Banksy conseille à son ami de devenir un street artist lui-même et de réaliser une petite exposition. Thierry, qui se fait désormais appelé Mr Brainwash, monte une exposition gigantesque à Los Angeles, s’entourant d’une armée de collaborateurs pour le suppléer ou plus justement, faire le travail à sa place. Banksy y découvres des « œuvres » absurdes, largement inspirées (pour ne pas dire plagiées) de celles des artistes qu’il a fréquenté pendant des années. L’exposition, portée par une campagne de communication gigantesque, est cependant un grand succès à Los Angeles, les œuvres de Mr Brainwash s’y vendent rapidement.
On est tombé un peu par hasard sur Canal sur ce film de Banksy, que nous avions (honte sur nous) loupé au cinéma. A l’époque, on avait pourtant été interloqué : qu’avait donc un des plus renommés représentants du street art à exprimer au travers de ce film qu’il ne pusse exprimer au travers de ses œuvres? Pourquoi se mettre à la réalisation lorsqu’on est un artiste avec une telle notoriété ?
Bon, en réalité, 8 euros la place, pour le film d’un gars qui se dit subversif, dénonçant l’ordre établi et le système capitaliste … Non !
On s’attendait en effet à un documentaire : culturel certes, intéressant de surcroît, ravivant quelques souvenirs d’une adolescence marquée par l’émergence du phénomène (certains d’entre nous ont encore quelques bombes à la maison). De là aller voir dans une salle obscure un documentaire sur un art qui s’expose dans les rues…
Aussi, quelle ne fût pas notre surprise devant cet ovni du cinéma, à l’humour caustique et au regard incisif.
Cet objet cinématographique virtuose est à la confluence entre plusieurs genres.
Un documentaire
On a plaisir à retrouver les plus grands noms du street art et à les suivre dans leurs pérégrinations nocturne, instillant un peu de poésie dans un paysage urbain grisâtre. Mais l’ascension de Thierry Guetta semble bien renvoyer à une évolution du monde du street art. Avec distance et non moins d’ironie, Banksy observe comment le monde de l’art s’empare du phénomène street art, le sortant de la clandestinité pour les salles de vente de chez Christie’s. On apprend cependant assez peu de choses sur le mystérieux Banksy : voix modifié, visage camouflé sous une grosse capuche, il n’intervient que pour parler de Thierry Guetta.
Une farce fiction ?
Plus on avance dans le film, plus Thierry Guetta nous apparaît comme un personnage improbable, construction de l’imagination délirante de Banksy. Ce personnage, candide et gauche, à la dégaine improbable avec ses favoris s’exprime en mauvais anglais avec un accent français à mourir de rire (même pour un français, c’est pour dire). Mégalomane, il n’hésite pas, tout en assumant l’emprunt (mmmhhhhh l’imposture et le plagiat) à soutenir la comparaison avec de grands artistes à l’instar d’Andy Warrhol dont il se dit l’héritier.
Banksy lui-même se révèle également très drôle avec quelques répliques cinglantes et posant un regard cynique sur le monde qui l’entoure.
Un essai sur le monde de l’art
Il apparaît bien qu’un artiste nommé Mr Brainwash ait exposé à Los Angeles et ait même réalisé la pochette d’un album de Madonna. Son site internet est une vaste blague (la visite vaut le détour).
En réalité, il semble que le canular de Banksy dépasse bien le cadre du film. Mr Brainwash, qui emprunte largement au style de Banksy, en serait un double, produit du capitalisme et des dérives que le système a engendré sur le monde de l’art. Par ce biais, Banksy critique ce monde de l’art prêt à débourser des sommes folles pour des succédanés d’art, un monde qui s’appuie sur la communication et le marketing pour déterminer le succès d’un artiste et sa quote sur le marché de l’art.
En même temps, Banksy lui-même a été critiqué pour avoir sorti de la rue le street art. L’une de ces œuvres réalisée en partenariat avec le très « quoté » Damien Hirst s’est vendu à 1,4 millions de dollars et son exposition à Los Angeles a acceuilli des célébrités comme Angelina Jolie. Il semble faire partie lui-même de ce système tout en laissant s’insinuer le doute :
« J’utilise l’art pour contester l’ordre établi, mais peut-être que j’utilise simplement la contestation pour promouvoir mes œuvres»
Il semble ainsi avec ce film bien plus se livrer qu’il n’y paraît. Il dévoile d’une certaine façon son propres désarroi face à un succès qui l’a sorti de la rue pour le jeter en pâture au marché de l’art et aux collectionneurs faisant de Banksy un « artiste d’affaires », un nouvel Andy Warhol. Cette reconnaissance a vidé ses œuvres de leur sens originel, de leur message révolutionnaire et subversif. On comprend dès lors qu’il ait choisi le cinéma comme mode d’expression pour ce nouveau message.
Fiction ou réalité, avec ce premier film (peut-être unique), Banksy réalise avec habileté plus qu’un documentaire un essai corrosif sur le monde de l’art et ses dérives.