Je suis revenu à Montréal en état de choc après l'enterrement à Ménilmontant. J'ai pas tenté de cacher mes larmes pendant le vol et j'avais la gorge enrouée en passant aux douanes. Une fois dans mon quartier, je me suis assis aux Belles Soeurs sur la rue Marie-Anne, et j'ai feuilleté le journal en buvant mon café. Je passais rapidement sur les obits, comme d'habitude, lorsqu'une photo a attiré mon attention. Un de mes potes chanteurs était mort pendant mon absence. J'ai même pas cherché à savoir de quoi il avait clamsé. J'ai noté l'heure et l'adresse. Par contre, le jour fatidique, je suis resté assis sur un banc au parc Fullum, tout vêtu de noir, à fumer des havanes.
En rentrant chez moi vers une heure du mat, j'ai pris dans une main tout le contenu de mes poches et j'ai jeté mes habits noirs dans la boîte à dons, au sous-sol de la coop. Ce costume avait longtemps servi à me déguiser en chanteur de blues. Je savais que je partais pour longtemps. Je prévoyais plus ni monter sur scène ni assister à d'autres enterrements. Et puis, ces fringues, en plus d'évoquer des ruisseaux de mauvais sang, me rappelaient de façon poignante la difformité jusqu'à laquelle j'avais laissé mon corps s'altérer à une certaine époque.
Je suis rentré à mon appart presque à poil. J'ai ouvert la grande armoire, je me suis servi un généreux verre de Talisker et j'ai rassemblé dans une petite boîte tous les machins de ma morte. Ensuite, je suis allé regarder sur Internet de quoi aurait l'air le paysage, pendant mon voyage. Je cherchais de grandes falaises, j'ai vu des tas de vignes toutes vertes.
Je sais toujours pas ce qui a pu tuer ce vieux pote, ce beau bonhomme, fou des Habs. Mais depuis que la Flanelle reprend du mieux, je pense souvent à lui. Je pense à la taverne Laperrière, qui sera pas la même, à mon retour, qui sera grise et triste, même si les bras meurtris ramènent le gros bol sur la Catherine. Y manquera toujours quelque chose.
—© Éric McComber