Balard entra comme un cyclone dans le bureau.
— Y a une fuite d’eau dans les sous-sols du Château Perrier ! Le musée prend l’eau ! C’est une catastrophe ! hurla-t-il.
— Toujours les grands mots, Balard ! fit Joffrin en levant les yeux au ciel
— Mais je vous assure…j’en viens ! Et même que les équipes de la société des eaux étaient déjà sur place pour limiter les dégâts, et les pompiers aussi ! Et quand je dis fuite d’eau, je n’exagère en rien ; ce sont de véritables geysers qui vomissent des litres et des litres d’eau !
— Ah ben voilà autre chose : l’Arlésienne prend l’eau ! Le vaisseau fantôme est en train de couler ! pouffa Amélie en levant la tête de son ordinateur.
Joffrin foudroya sa secrétaire d’un air mauvais, et tout en évaluant l’urgence de la situation, il ordonna :
— Prévenez le maire, Balard ! Vite ! Je me rends sur place tout de suite !
Le premier adjoint saisit sa veste et sortit précipitamment en claquant la porte à toute volée. Balard, la mine déconfite, lui emboîta le pas, se demandant comment présenter la chose au maire.
Céline se retourna, ironique, vers sa collègue de bureau.
— T’exagères, Amélie, avec tes réflexions ! Ça lui a pas plus à Joffrin ! Tu sais bien que le musée, c’est un sujet tabou ! Ils aiment pas être titillés là-dessus…
— Musée, musée…on n’en n’a pas de musée à Epernay ! T’as déjà vu une ville sans musée, toi ? Paraît qu’on a des richesses inestimables et on les garde cachées dans des caisses ! A chaque élection se repose la question du musée et ça fait au moins trente ans que ça dure… On n’en parle, on n’en parle mais on ne voit rien venir !
— C’est vrai qu’ils n’ont rien à se mettre sous la dent, les touristes, quand ils débarquent dans la capitale du champagne, mise à part les caves…
— Tu vas pas me dire qu’ils peuvent pas trouver un endroit où l’installer ce musée, en attendant de retaper le château ! Quand tu penses que toi et moi, comme de nombreux sparnaciens d’ailleurs, nous n’avons jamais eu l’occasion de découvrir les pièces qui relatent le passé de notre ville…le musée abriterait une rare collection d’archéologie..des objets qui dateraient du Paléolithique ! Tu te rends compte…et on nous prive de toutes ces richesses… incroyable, non ?
— Hum…bizarre, oui…la ville n’a paraît-il pas les moyens d’installer un musée, mais tu as raison, au lieu de bâtir des salles des fêtes grandioses, elle pourrait s’atteler à régler ce sacré problème et offrir un musée digne de ce nom à ses habitants…Tiens, tu me prêtes ta lime à ongles ? Ils sont pas prêts de revenir, j’ai le temps de me faire un petit raccord…Ce soir, ma mère garde les gosses ; on se fait un p’tit resto avec Arthur, histoire de fêter nos dix ans de mariage !
Je vous raconte là, ce que j’ai entendu alors que je passais dans ce bureau pour récupérer des photocopies pour le service communication.
J’étais une jeune stagiaire à l’époque. On avait l’habitude de me voir entrer et sortir ; j’étais discrète, me faisais toujours toute petite, convaincue que je dérangeais, excusant mes intrusions d’un sourire timide. Je ne cherchais pas à entrer dans les conversations intimes du bureau de Mr. Joffrin. Ma timidité maladive sans doute…
Aux coups d’œil appuyés des deux filles qui cherchaient mon approbation sur ce qui venait d’être dit, je me contentai d’acquiescer d’un hochement de tête. J’étais surtout bouleversée par ce qui était en train de se passer au Château Perrier. Je regroupai les feuilles de photocopies dans un dossier, après les avoir agrafées, et sortis, laissant ces dames occupées par leur séance de manucure.
(Vous voulez lire la suite ? Alors lisez, là, juste en dessous, l'article précédent )
La photo du "musée d'Epernay" a été empruntée là et j'en remercie l'auteur.