Voilà les trois qualificatifs pouvant qualifier aujourd’hui la nature des phénomènes auxquels nous sommes confrontés, à savoir le changement climatique, la réduction de la biodiversité et l’accroissement des inégalités de par le monde (et au sein même des nations).
Après les constats scientifiques, place à l’action et à l’engagement local pour le changement. Mais comment “utiliser les connaissances scientifiques globales, qui ont une fonction d’alerte, pour déterminer l’action politique à conduire au niveau local ?” Voilà la question posée dans cette présentation de Gilles Laurent Rayssac* (pdf) au sujet de la mise en place de nouveaux modes de gouvernance.
Se référant au Principe de responsabilité du philosophe Hans Jonas, il explique notamment que la radicale nouveauté des défis que nous devons relever vient perturber la cohérence de la société actuelle.
“Dans “l’ancien système”, les règles présentent deux particularités: elles régissent des relations interpersonnelles et s’appliquent dans l’immédiateté. De ce fait, de la décision qui établit la règle au comportement qu’elle dicte, il y a un lien direct, permanent et immanent. Au contraire, dans le “nouveau monde”, le monde que Jonas décrit comme celui dans lequel la technique humaine a dépassé les capacités humaines à prévoir ses conséquences et ses impacts sur la biosphère, il nous faut des règles de comportement qui ne sont plus interpersonnelles mais intergénérationnelles, d’application non plus seulement immédiate mais pérenne à long terme. Par ailleurs, ces règles doivent avoir un haut niveau d’acceptabilité et donc de compréhension par ceux qui sont sensés les appliquer; parce que les moyens de contrôle de leur observation sont relativement peu nombreux, difficilement individualisables, risquant de restreindre les libertés ou encore très coûteux.”
La question n’est donc plus “comment les institutions peuvent-elles nous aider à vivre ensemble”, mais “comment les institutions peuvent-elles faire en sorte de nous aider à (mieux) vivre ensemble sans détruire plus encore notre environnement, la biosphère”.
Les solutions semblent résider dans une réforme des systèmes décisionnels (désormais inadaptés), mais aussi dans la prise en compte du basculement du religieux et des mythes vers le scientifique (”aujourd’hui, les principes éthiques qui nous obligent sont fondés sur des connaissances scientifiques : plus personne de bonne foi ne peut dire, aujourd’hui qu’il est dans l’ignorance des conséquences du développement non durable. Cela introduit une donnée nouvelle dans la réflexion et un acteur nouveau dans la discussion : le scientifique qui devient, par là même, celui par qui le scandale peut arriver”) et dans la notion de changement par cumulation, et non par soustraction (”nous devons chercher à modifier les modalités de gouvernance non par remplacement d’une institution par une autre mais plutôt par adjonction”).
Ces trois pistes en révèlent une quatrième: la solution réside aussi, a priori, dans la nécessité “d’ajouter aux institutions traditionnelles des processus de prise de décision qui permettent d’une part de prendre en compte les phénomènes consécutifs au développement non durable et leurs caractéristiques (globalité, invisibilité, imprévisibilité et inertie) et d’autre part d’inclure la figure du scientifique dans le processus décisionnel“. Naturellement, donner le pouvoir aux scientifiques n’est pas une solution: on se souvient des propos d’Edgar Morin sur les experts, et l’on reconnaîtra aussi que le pragmatisme sans plus d’idéologie, de par son manque général d’anticipation et de visibilité globale, n’est pas une solution viable.
Il faudra aussi rechercher des solutions locales et adaptées à chaque territoire, étant donné la nature même des phénomènes précités.
A terme, la concertation et l’échange entre les différents acteurs (experts et “simples” citoyens) dans ce que certains nomment la “démocratie participative” (loin de moi l’emploi de cette expression en un sens politique ici), apparaît comme une solution. Cette notion de “management des parties prenantes” suggère aussi, de manière très constructive, de nouvelles règles (je cite):
- La règle de la double non spécialisation : ne pas organiser de débats uniquement entre spécialistes ou spécialisés sur un seul thème.
- La règle de la double finalité : la discussion publique doit produire de la connaissance et être tournée vers l’action.
- La règle de l’asymétrie décisionnelle : tous ceux qui participent à la décision ont participé au débat ; tous ceux qui ont participé au débat ne participent pas à la décision.
- La règle de l’équidistance dans la discussion : dans le débat, avant la décision, toutes les parties prenantes sont ou doivent pouvoir se situer à égale distance de la question en discussion (en termes d’accessibilité, de compréhension, etc.).
Au final, le changement climatique apparaît comme une opportunité pour progresser “sur le chemin de la démocratisation de la démocratie (…) C’est dans la proximité, qui peut être relative (du local au régional) que nous pouvons multiplier les tentatives et avoir une chance de trouver des solutions efficaces.”
Intéressant non? Surtout en ces temps d’élections municipales et cantonales… Vous ne trouvez pas?;-)
*Gilles Laurent Rayssac est le cofondateur de Res publica, une société spécialisée dans le management des parties prenantes, l’organisation, l’animation et l’évaluation des processus de concertation et de démocratie participative. Il est aussi professeur associé à l’université de Caen-Basse-Normandie et coauteur, avec Dominique Bourg, de Le développement durable (coll. Découverte, Gallimard) et avec Christian de la Guéronnière, du Guide de la concertation locale (éditions La Lettre du cadre territorial).
Cette présentation/allocution a été faite il y a presque un an, le 29 mars 2007, lors de la séance d’ouverture du séminaire Prospective Info de la DIACT, “Changement climatique, biodiversité et paysages : un défi pour la gestion des territoires”, à Paris.