La Grande-Bretagne vient de définir des mesures préventives (moins de publicités à caractère érotique à proximité des écoles…) pour lutter contre la sexualisation précoce des enfants. Un phénomène qui pousse les plus jeunes à adopter les vêtements et les moeurs des adultes. Nous avons interrogé le sociologue canadien Richard Poulin sur les conséquences que peut engendrer cette hyper sexualisation qui touche toutes les sociétés occidentales.
Richard Poulin est professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Sexualisation précoce et pornographie aux éditions La Dispute.
PsychoEnfants : Qu’est-ce qui pousse les enfants à vouloir s’habiller comme des adultes ?
Richard Poulin : Il faut distinguer les enfants des adolescents. Ce sont les parents qui achètent les vêtements de leurs enfants. À l’adolescence, les jeunes sont davantage influencés par la publicité, les magazines, les stars, le groupe de pairs, etc., et font pression sur les parents de façon plus importante, souvent décisive.
Dans le capitalisme d’aujourd’hui, le consommateur « autonome » désire ce qu’on lui fait désirer. Il existe une offre hallucinante de vêtements prétendument sexy qui « adultifient » les plus jeunes. On trouve des soutiens-gorge rembourrés pour enfants, des souliers à talons hauts ou des t-shirts aux blagues sexistes pour les bébés garçons. On fait des enfants des adultes en miniature – des mini-femmes fatales et des nymphettes pour les fillettes et des proxénètes et des machistes pour les garçons. Les filles apprennent à dépendre du regard de l’autre pour exister. Elles se forgent une idée des rapports hommes / femmes centrés sur la séduction et la consommation. La mode impose très tôt aux jeunes filles un rôle — « charmer, plaire et séduire » — de lolitas, tout en leur inculquant le message : leur valeur se mesure à leur sex-appeal.
PsychoEnfants : Les enfants et les adolescents ne cherchent donc pas à attiser le désir lorsqu’ils s’habillent avec des vêtements d’adultes?
Richard Poulin : Certainement pas. Les enfants sont les proies des marchands de la mode, alors qu’ils n’ont pas encore les moyens d’être sujets de désir. Toutefois, aujourd’hui, les enfants et les adolescents baignent dans la sexualité adulte. Ils consomment très jeunes de la pornographie, tandis que les magazines pour filles ne cessent de traiter du sexe et de la séduction, comme si leur univers ne devait se limiter qu’à ces questions et à celles des produits à acquérir qui les aideront à devenir des filles sexy et, tellement intéressantes que tous voudront les connaître et s’en faire des amies. Les enfants se comportent comme des adolescents, les adolescents comme des adultes, et nombre d’adultes sont en crise d’adolescence… Il y a non seulement une perte des repères intergénérationnels, mais également un brouillage des rôles sociaux.
PsychoEnfants : Sont-ils amenés à grandir plus vite et à perdre leur enfance ?
Richard Poulin : On commence de plus en plus tôt les relations sexuelles. Une étude de Statistique Canada, indique que 22 % des Québécoises âgées de 14 ou 15 ans affirment avoir déjà eu des relations sexuelles tandis que 17 % des Québécois répondent de la même manière. Plus l’estime de soi est faible, plus les jeunes filles sont précocement actives sexuellement. L’enquête de Statistique Canada sur la santé montrait que « les filles dont l’image de soi était faible à l’âge de 12 ou 13 ans étaient plus susceptibles que celles qui avaient une forte image se soi de déclarer, dès l’âge de 14 ou 15 ans, avoir déjà eu des relations sexuelles. En outre, 20 % des jeunes filles de 14 à 16 ans ont déclaré avoir consenti à des relations sexuelles qu’elles ne désiraient pas ! En rendant sexy les jeunes, cette « adultification » sexuelle mine la prohibition sociale de la relation sexuelle entre adultes, adolescentes et enfants. Elle légitime ainsi l’agression sexuelle aux yeux de l’adulte pour qui si une jeune porte un string, c’est la preuve qu’elle consent à l’acte sexuel.
PsychoEnfants : Quelles sont les conséquences sur la vie de ces enfants et futurs adultes ?
Richard Poulin : Les adolescentes et les fillettes deviennent les proies de prédilection des prédateurs sexuels. L’importance du paraître rend les jeunes filles dépendantes du regard des autres. Elles deviennent vulnérables face à l’abus sexuel, à la pédophilie, à la prostitution, à la pornographie, aux relations sexuelles précoces, au comportement excessif de consommation, au développement d’une faible estime de soi, etc.
Lorsque le paraître prend le dessus sur l’être, cela a d’importants impacts sur le rapport au corps, lesquels impliquent de multiples transformations, du tatouage et du piercing à la chirurgie plastique, des diètes répétées à la consommation de tabac et même de drogues (qui permettent de moins manger).
Par ailleurs, les garçons voient dans les filles de leur âge des objets sexuels potentiels. Ils affichent très tôt des conduites de contrôle sexuel, habituellement vers la fin de l’école primaire. Une enquête auprès de 3 000 élèves canadiens a révélé que « trois élèves sur quatre » se font harceler sexuellement par leurs pairs. 98,7 % des filles d’un échantillon de 315 étudiantes ont été la cible de harcèlement sexuel avant l’âge de 18 ans.
PsychoEnfants : Comment intervenir auprès d’eux pour limiter le phénomène ?
Richard Poulin : Au Québec, les résistances à l’hyper sexualisation sont nombreuses et diversifiées. Plusieurs initiatives communautaires ont vu le jour, notamment des documentaires, un forum régional pour discuter des liens entre l’hyper sexualisation, la sexualisation précoce et les agressions sexuelles, une Coalition nationale contre les publicités sexistes a été créée. Un magazine proposant une vision alternative aux jeunes filles a vu le jour. Celui-ci refuse de promouvoir et de faire la publicité des produits qui participent à la sexualisation des filles. Bref, les résistances émanent de la société civile, des groupes de pression… Ce sont ces acteurs qui changent les mentalités et qui poussent les gouvernements à agir. Les lois contre la publicité sexiste (y compris celles qui se prétendent grivoises et drôles) semblent plus que jamais appropriées.
Source : psychoenfants