L'art de la fugue - Roger Laporte

Publié le 20 novembre 2007 par Jjplm5

   "Pourquoi ne commencerais-je pas par cette remarque que je comprends mal et qui m'étonne moi-même? J'attends de l'ouvrage à écrire ce que l'on demande d'habitude à la vie, ou même je vais jusqu'à croire que je peux, quant à moi, tenir pour négligeables les événements de ma vie d'homme, voire ceux du monde, en regard de ce qui peut m'arriver en écrivant, de ce qui ne pourra arriver que dans la mesure où j'écrirai. Je serais certes bien en peine de préciser en quoi consiste cette écriture, cette vie, dont je donne à croire que j'attends tout, alors que j'ignore ce que j'attends, ce qui m'attend, mais, s'il n'est point question d'écrire une autobiographie, je donnerai néanmoins à cet ouvrage, à titre provisoire et pour servir de repère, le nom de biographie, car mon entreprise m'importe dans la mesure où elle sera liée, je ne sais comment, à l'acte d'écrire, acte qui ne serait plus subordonné ou accessoire puisque ni en fait ni en droit, ma vie - une certaine vie - ne pourrait en être séparée. - Qu'est-ce qu'écrire? Je retrouve la phrase écartée par laquelle j'aurais pu tout aussi bien commencer : écrire m'est inconnu" (Ce sont les premières lignes de "Fugue", suivies ici dans "Une vie", P.O.L, p.255).

   Que l'on soit attentif à ces enroulements, à ce qui y prend, à ce qui n'y prend pas. C'est ainsi que si l'on comprend de suite que "biographie" est "saisi", ce que l'on demande d'habitude à la vie reste "scandaleusement" indéterminé - à moins qu'il s'agisse de quelque chose de fort, d'un alcool puissant qui "booste" le cerveau.  On aura noté aussi que l'écrivain dit je, disons surtout qu'il se met en jeu au-delà de toute limite acceptable puisqu'il n'hésite pas à déclarer : ou même je vais jusqu'à croire que je peux, quant à moi, tenir pour négligeables les événements de ma vie d'homme, voire ceux du monde, etc. Prise de position souveraine,  romantique. Mais que demande-t-on d'habitude à la vie?

   Nous n'avons pas encore fait un pas dans l'art de la fugue. Nous savons au moins qu'il y a une prise de position très ferme et un certain flottement. Le texte en est énigmatique. Il appelle, quoi que l'on en fasse. Qu'écrire ne soit plus acte subordonné ou accessoire ouvre toute grande la fenêtre.