la nuit le jour - l'"oblique"

   (Il me semble que la lecture de ce "billet" sera plus intéressante pour la lectrice ou le lecteur qui reliront préalablement, ci-dessous, "Autour d'une tentative d'évasion" et "Flux de forces (où l'on fait mine de surplomber)").

   Paul Claudel a fait remarquer que le mot "nuit" est plus clair, plus lumineux, que le mot "jour" à la tonalité sombre. Et il est certain que nos nuits éclairent nos jours, et réciproquement. Comme s'il n'était pas possible de sortir du rêve, quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise. Quand Merleau-Ponty dit du philosophe qu'il est un homme qui s'éveille et qui parle, cette formulation n'indique-t-elle pas nettement que le philosophe est encore gros de "sa" nuit, de ce qui lui vient à l'esprit - comme le rêve vient à l'esprit. Bonne raison pour ne pas prendre pour argent comptant (quelle expression!) ce que dit ou ce qu'écrit le philosophe. Même, bien sûr, s'il ne s'appelle pas Merleau-Ponty. Jacques Derrida n'a d'ailleurs cessé de souligner ce qu'il y avait de rêve (quant à sa logique, quant à ses figures...) dans les textes (très sérieux) qu'il lisait.

   Dès lors, il semble inévitable de replonger tout texte (si bref ou si long soit-il) ou toute parole (même remarque) dans ce que je continue d'appeler, au singulier, le rêve (lui, si court, si fragmentaire, que déplient les "associations libres"). La "pensée" dilue, allonge, le rêve bref dont elle se nourrit, qui l'"inspire". Il semble, dans cette optique - mais elle est loin d'être la seule - que la "pensée" soit, au mieux, un magistral détour, une magistrale dérive. Il faut bien voir que ces mots ne sont nullement une critique de la "pensée" (ce serait grossier) et qu'il ne s'agit pas d'un propos réducteur. Je suis convaincu, au contraire, que ce type de commentaire (un rêve, lui aussi) élargit considérablement le cadre ou le contexte dans lequel toute "pensée" trouve sa force... ou sa faiblesse.