Magazine Politique

And the winner is… Manama ! La future chaîne Al-Arab s’installe à Bahreïn (2/2)

Publié le 02 janvier 2012 par Gonzo

And the winner is… Manama ! La future chaîne Al-Arab s’installe à Bahreïn (2/2)

And the winner is… Manama ! Après avoir fait parler de lui en rejoignant le capital de Twitter (voir billet précédent), Waleed ben Talal défraie à nouveau la chronique en annonçant, à la surprise générale, que sa chaîne d’information, Al-Arab, émettra depuis Manama. En réalité, la capitale du micro-Etat insulaire de Bahreïn touche un double jackpot puisque qu’elle deviendra également le siège du groupe Rotana, le fleuron du groupe Kingdom Holdings, propriété de la première fortune arabe.

Certes, le paysage télévisuel arabe est en plein renouvellement, et l’année qui vient de commencer verra la création d’autres chaînes d’information importantes : à Beyrouth, Al-Mayadin, avec l’ancien présentateur vedette d’Al-Jazeera, Ghassan Ben Jiddou, mais surtout, à Abu Dhabi, la Sky Arabic de Robert Murdoch (un partenaire en affaires du prince al-Waleed). Néanmoins, aucun projet n’attire autant l’attention que le lancement d’une chaîne d’information par un groupe jusque-là étroitement spécialisé dans le media & entertainment, et dirigé par un homme qui, année après année, figure en tête du classement des personnalités arabes les plus influentes.

On parlait beaucoup de Dubaï pour la future chaîne Al-Arab, à la rigueur d’Abu Dhabi, certains évoquaient Beyrouth ; pour finir, c’est Manama qui a été retenue. Un choix tout de même assez étonnant, aujourd’hui plus que jamais. A Bahreïn, on n’a jamais beaucoup aimé les médias : le contexte politique et juridique du pays n’y a jamais favorisé les grandes entreprises de presse (seule  exception, peu glorieuse, CNN Arabic au temps de la seconde Guerre du Golfe). Mais depuis les soulèvements du printemps arabe bahreini en mars dernier, matés grâce à l’intervention des troupes « du Golfe » (et en réalité saoudiennes), la situation a tragiquement empiré (article en arabe) avec la mort en prison de Karim Fakhrawi, le fondateur d’Al-Wasat, principal (et unique) quotidien d’opposition, et d’incessantes condamnations – sous le regard en général distrait des médias internationaux – de journalistes, de blogueurs et même de photographes…

Comment justifier pareille décision de la part d’un homme d’affaires aussi avisé que Waleed ben Talal ? Mis à part le discours un peu délirant des Bahreinis, convaincus que leur petit pays offre vraiment les meilleures conditions possibles au lancement d’un projet d’une telle envergure, la plupart des explications mettent en avant la volonté des autorités saoudiennes de soutenir économiquement l’émirat voisin. Une lecture qui n’est pas vraiment convaincante, c’est le moins qu’on puisse dire.

Fondamentalement, on peut penser que Manama a été retenue faute de mieux, les autres capitales possibles offrant, paradoxalement, encore plus de désavantages. Beyrouth, où la société Rotanna n’a pas que des bons souvenirs, a certainement vu les arguments en sa faveur contrebalancés par un climat régional particulièrement instable… La capitale égyptienne, de toute manière beaucoup moins centrale par rapport à la stratégie du groupe, ne pouvait être retenue pour les mêmes raisons. Un moment semble-t-il intéressées (voir cet article  en arabe), les autorités qataries ne sont pas allées jusqu’à faire une offre irrésistible pour attirer chez elles la nouvelle chaîne. Il faut dire qu’une installation à Doha, le siège d’Al-Jazeera, la principale concurrente, n’avait guère de sens par rapport aux projets d’un homme comme Waleed ben Talal, connu aussi bien pour ses exigences professionnelles que pour ses ambitions politiques.

Cette double qualité rendait également impossible l’association du prince saoudien avec Robert Murdoch. La réputation du tycoon australo-américain est de plus en plus sulfureuse depuis ses démêlées avec la justice anglaise à la suite de l’affaire des écoutes téléphoniques. Prévue pour le printemps prochain, l’ouverture de Sky Arabia à Abu Dhabi ne se présente pas non plus sous les meilleurs auspices, du point de vue professionnel. Trop connu pour ses idées conservatrices, et ses sympathies sionistes, Murdoch n’est donc plus un aussi bon choix pour Al-Waleed ben Talal qui se pose depuis toujours en libéral, manifestant régulièrement son désir de voir évoluer la société saoudienne, comme le montrent à l’envi ses prises de position publiques à propos de nombreuses questions de société : l’émancipation des femmes, la question du cinéma, et tout simplement le choix du divertissement comme assise économique de son groupe médiatique.

Des raisons similaires ont dû provoquer le rejet de Dubaï, après celui de Beyrouth, du Caire, de Doha et d’Abu Dhabi. La capitale économique des Emirats est en effet le siège d’Al-Arabiyya, la seconde chaîne d’information régionale après Al-Jazeera. S’il est vrai que le lancement prochain d’Al-Arab par le « milliardaire libéral saoudien » répond bien à des objectifs politiques, Dubaï n’est plus une localisation souhaitable puisqu’elle est déjà le siège d’une chaîne… saoudienne : Al-Arabiya est en effet la propriété de cheikh Waleed Bin Ibrahim Al Brahim, à la tête du groupe MBC auquel la famille royale saoudienne est loin d’être étrangère… A Manama en revanche, où Al-Jazeera n’a même plus de bureaux depuis qu’ils ont été fermés en mai dernier, le champ est libre pour une nouvelle chaîne, surtout si elle est capable de se positionner sur un nouveau créneau.

Et telle semble bien être la stratégie retenue par Waleed ben Talal pour la future « voix des Arabes ». Au tout début du projet, dont on parle en réalité depuis juin 2010 au moins,  il avait été prévu que la chaîne, en principe spécialisée dans le divertissement léger, représenterait un courant « modéré ». Très vite, l’inflexion « libérale » – au sens (américano-) saoudien du terme – est devenue apparente, en particulier avec le choix de Jamal Kashoggi, un vrai professionnel de la presse écrite.  A peine remercié par ses « patrons » au ministère de l’Information du Royaume, l’ex-rédacteur en chef du quotidien Al-Watan, coupable d’être un peu trop critique, a été récupéré pour prendre la direction de la future Al-Arab. Un chaîne dont le prince a récemment annoncé qu’elle serait désormais « au service du développement humain et économique de la région, dans le cadre de la démocratie qui en découlerait » (ستخدم كل العرب وقضاياهم وستساهم في التنمية البشرية والاقتصادية في اطار الديموقراطية التي ستتبعها ).

Le « printemps arabe » est passé par là. En principe, Al-Arab devrait commencer à émettre le 12/12/2012 : on devrait donc en reparler à l’occasion des vœux pour la prochaine année. Rendez-vous dans un an ! (Pas de souci, il y aura d’autres billets d’ici là…)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines