Réinscrire le poème dans l’orbe de la Cité, c’est-à-dire le repenser sous l’angle communautaire plutôt qu’individualiste, en tenant compte de la désintégration métrique et du pourrissement des sociétés qui ont caractérisé ce dernier demi-siècle – tel me paraît être l’enjeu primordial du travail qui nous attend. Ce qui implique à tout le moins une redéfinition de la finalité du poème, et de son inévitable illisibilité – non certes en vue d’une utopique « démocratisation » de l’écriture (en termes d’échange, la langue la plus commune sera toujours la plus privée), mais pour tenter de retrouver le sens d’un acte dénué de valeur s’il ne vise pas à un certain partage – des ténèbres troués d’éclairs où nous progressons à tâtons. Or combien sommes-nous, toutes générations confondues, pour souscrire en cette fin de siècle à de telles préoccupations ? Qu’aperçoit-on dans ce qui se donne aujourd’hui à lire comme poème, participant de fait à cette critique active du réel sans quoi il me paraît bien vain d’avancer l’ombre émerveillée d’un vers – sauf à se contenter d’une plate ambition littéraire qui certes a rarement manqué d’adeptes, de nos plus médiocres à nos plus talentueux artisans ?
Yves di Manno, endquote, Flammarion, 1999 (pp.180-181)
[Choix de Jean-Pascal Dubost]