Pieter Cornelisz. van Slingelandt (Leyde, 1640-1691),
Portrait d’homme avec une montre, 1688.
Huile sur bois, 25,5 x 20 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.
Au moment où je donne à ces lignes leur forme définitive, le jour n’est pas encore tout à fait levé sur la première journée de l’année et le calme de cette fin de nuit offre un merveilleux contraste avec les gloussements et les éructations des fêtes obligées qui ont déferlé depuis une bonne semaine. Loin de cette ébullition factice, mes pensées vont vers vous, chers lectrices et lecteurs de Passée des arts, et mon premier mouvement est de gratitude, pour vous remercier de la fidélité dont vous avez, cette année durant, bien voulu honorer ces pages. 2011 a été pour moi une année difficile, où, pendant que des liens, certains chers à mon cœur, s’abîmaient ou se rompaient, nombre de coups bas et d’hypocrisies se faisaient jour, tombant le masque d’une bienveillance et parfois, hélas, d’une amitié également contrefaites. Vos encouragements ont souvent été plus précieux que vous ne l’imaginez pour poursuivre le travail entrepris ici et je vous en suis profondément reconnaissant.
D’un point de vue plus général, je conserve de l’année qui s’achève un sentiment où prédominent une certaine forme d’incohérence, voire d’indécence. Celui-ci aura sans doute atteint son apogée lors des manifestations d’hystérie collective, dont, spontanéité mise à part, le caractère systématique ne m’apparaît finalement pas si éloigné de celles observées lors la disparition de Kim Jong Il, ayant accompagné la mort du fondateur et patron d’Apple, Steve Jobs, immédiatement statufié, voire canonisé par toute une frange de la population dont ses innovations auraient changé la vie. Je vous avoue que je suis sidéré de voir un chef d’entreprise, dont une des activités principales aura été d’inonder la planète de gadgets technologiques fabriqués dans des conditions quelquefois peu équitables, élevé au rang de génie – rien de moins – et pleuré par ceux mêmes qui se montrent prompts à porter en sautoir cette indignation dont un livre à fait une mode qui, comme les autres, finira par passer. Le même sentiment de profond dégoût me saisit lorsque j’entends, ce matin encore, des journalistes en mal d’information parler d’un footballeur à l’arrivée un temps annoncée dans une équipe parisienne, dont un mois du salaire promis financerait plus de vingt projets discographiques et que vont applaudir, au nom de je ne sais quel rêve frelaté, des spectateurs inconscients d’être manipulés par un pouvoir qui a fait du culte du Veau d’or le vecteur d’une course effrénée à la respectabilité et le paravent qui dissimule, non sans quelque mal, les pires turpitudes. Année politique en France mais aussi aux Etats-Unis et en Russie, 2012 s’annonce faste pour les caniveaux et les cloaques, dont les relents ont déjà envahi des réseaux sociaux où nombre de « commentateurs » se complaisent visiblement à patauger dans cette fange dont la presse à scandale fait habituellement ses délices.
Aussi, je vous propose de continuer notre chemin de concert vers ce qui nous élève plutôt que vers ce qui nous embourbe. L’année qui vient sera sans doute délicate pour la culture et en particulier pour la musique, qui n’échappera pas à la récession aujourd’hui à nos portes. Plus que jamais, on peut gager que les organisateurs de concerts et de festivals, suivis par certains éditeurs discographiques, auront avant tout le souci de la sécurité et de la rentabilité. Il y a donc fort à parier que la surexposition de l’opéra et de ses vedettes, s’accompagnant de sa réduction à une poignée de compositeurs ressassés ad nauseam – Händel, Vivaldi, Lully et consorts – se poursuivra, tout comme continueront à sévir, avec, parfois, l’assentiment stupéfiant d’une partie de la critique dite « spécialisée », des Christina Pluhar, dont le futur projet latino-américain démontre de manière définitive que le Baroque a trouvé en elle l’équivalent féminin de Roberto Alagna, des contre-ténors bien lisses auxquels la recherche du glamour tient lieu d’exigence artistique et des pianistes à poses romantiques aussi authentiques qu’un Mozartkuchen autrichien.
Par chance, à côté de tous ces produits, certains éditeurs sérieux nous promettent quelques vrais rendez-vous, dont je vous livre, avec leur autorisation, un avant-goût. Outhere, regroupant plusieurs labels spécialisés nous promet, chez Aeon, le Requiem d’Antoine Divitis ou de Févin par Organum (janvier), un programme de polyphonies anglaises du XIVe siècle par l’Ensemble Céladon (mars), puis, à l’automne, un disque Thibaut de Champagne par Alla Francesca, tandis que Ricercar nous offrira la Missa In illo tempore de Monteverdi par Odhecaton (février), une anthologie dédiée à la famille Bach par Clematis et Leonardo García Alarcón (avril) et des Vêpres de Willaert par la Capilla Flamenca (juin). Zig-Zag Territoires, pour sa part, nous donnera les Sonates pour violon et clavecin de J.S. Bach par Chiara Banchini (mars), Alpha La Catena d’Adone de Mazzocchi par Scherzi Musicali (janvier) et les Leçons de Ténèbres de Couperin par le Poème Harmonique (mai), Phi nous proposant une Messe en si de J.S. Bach en janvier et le Requiem de Victoria en mai, et Ramée, le premier disque du Ludovice Ensemble dédié à des cantates françaises. Pour le tout jeune label agOgique, récemment salué ici même, Amarillis se penchera sur la musique de chambre de Johann Christian Bach (janvier) et le Quatuor Ruggieri signera son premier disque consacré à celle de George Onslow (printemps), tandis que, pour Ambronay, Les Ombres nous donneront à entendre cet automne Les Nations de Couperin. Musique en Wallonie, enfin, continuera son exploration de la production de Roland de Lassus tout en nous faisant découvrir celle de Marbrianus de Orto, et Brilliant Classics publiera en avril Austria 1676, le nouveau récital du luthiste Miguel Yisrael. Comme vous le voyez, mille raisons de se réjouir, auxquelles on pourrait ajouter l’annonce de quelques très belles expositions, avec un fabuleux mois de mars, où s’ouvriront successivement celles consacrées aux Miniatures flamandes à la Bibliothèque Nationale de France le 6, à Tours 1500 en cette ville le 17 et à Nicolas de Leyde au Musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg le 30. L’automne verra le Palais des Beaux-Arts de Lille s’intéresser, à partir du 5 octobre, aux Fables du paysage flamand au XVIe siècle alors que le Musée des Beaux-Arts de Strasbourg rendra hommage, dès le 17 novembre, à un de ses glorieux enfants, le peintre préromantique Philippe-Jacques de Loutherbourg.
Voici quelques-uns des chemins que je vous proposerai d’emprunter dans les mois à venir et sur lesquels j’espère vous retrouver, vous dont les commentaires et la présence font vivre Passée des arts. Puissions-nous continuer à affirmer ensemble notre préférence pour ce qui dure plutôt que ce qui passe, pour ces artisans de la beauté qui refusent les sirènes de la facilité et nous offrent les fruits généreux d’un travail patient et amoureux, pour les sentiers écartés plutôt que les autoroutes, pour le droit, pendant que nous le pouvons encore, de prendre le temps de goûter la saveur des choses.
À toutes et à tous, ainsi qu’à ceux qui vous sont chers, je souhaite le meilleur pour 2012.
Accompagnement musical :
Philipp Heinrich Erlebach (1657-1714), Die Zeit verkehret was uns beschweret : Meine Sinnen lasst es sein ! (Le temps allège tout ce qui nous pèse : Mes sens, laissez faire !), air avec instruments et basse continue.
Victor Torres, chant
Stylus Phantasticus
Friederike Heumann, viole de gambe & direction
Zeichen im Himmel, airs et sonates 1 CD Alpha 018. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.