En ce début 2012, le président et le premier ministre sont sur le pont, pour tenter de déminer les effets d’une dégradation du triple A de la France, que certains considèrent comme incontournable et imminente. Nicolas Sarkozy a ainsi donné le ton, au cours d’un récent entretien accordé au journal « Le Monde », en assurant que cette perte serait une difficulté supplémentaire, mais non insurmontable, du point de vue de la dette souveraine, nous gangrénant depuis 1981, et le retour à l’équilibre budgétaire durement arraché par notre ministre des finances, de l’époque, le professeur d’économie Raymond Barre. Et puis récemment, au cours d’une visite officielle au Brésil, François Fillon a jugé probable de nouvelles secousses, même s’il estime, que ce qui importe, ce n’est pas le jugement d’un jour des agences de notation.
Cela signifie à proprement parler, qu’après avoir dramatisé la possible perte de notre triple A, le gouvernement s’emploie maintenant à la dédramatiser. C’est la chronique d’une dégradation annoncée. « Le triple A, c’est fini, aujourd’hui, demain ou après-demain, peu importe le moment choisi, notre sort est règlé ». Après avoir fait de la défense du triple A, « sa bataille de la Marne », pour mieux endosser l’uniforme prestigieux du maréchal Joffre, Nicolas Sarkozy et les communicants de l’Elysée nous préparent en douceur, depuis plusieurs jours, à une retraite en bon ordre. Après tout, ce triple A, les Etats-Unis l’ont perdu et rien n’a changé. Ils continuent d’emprunter à des taux très bas, comme avant, mieux qu’avant. « Et puis les Français se consoleront avec l’idée que c’est toute la zone euro, qui serait dégradée par les agences de notation, même l’Allemagne, même l’Allemagne, vous dis-je ». Et puis ces agences de notation, se sont toujours trompées, il est vrai. Des journalistes mieux payés, rien de plus. De toute façon et par tous les moyens, cette bataille du triple A était perdue d’avance, il était déjà miraculeux au vu de notre endettement et de nos déficits et surtout de la dégradation inexorable de notre balance des paiements, que nous ne soyons pas relégués dans la classe de l’Italie, qui empruntent désormais à plus de 6%. Sans doute, doit penser Nicolas Sarkozy, la France bénéficie là de l’alignement de ses positions sur les allemandes, en tout cas le refus obstiné du président français, de faire de ses oppositions irréductibles avec la chancelière, des causes de rupture. Comme si l’Elysée restait persuadé que l’Allemagne protégeait la France.
La perte de notre triple A est le premier échec de cette stratégie. Pour établir une hiérarchie entre les Etats, les marchés ont remplacé les dévaluations des monnaies, par la dégradation des notes et la hausse des taux d’intérêt. Dans son discours, prononcé devant le Bundestag récemment, la chancelière Merkel a bien pris acte de sa victoire, refusant encore et toujours, la fameuse union de transfert, et prévenant que le processus de sortie de crise, ne durerait pas des semaines, pas des mois, mais des années… Avec une telle échéance, on comprend aisément que Nicolas Sarkozy, disons, relativise la portée de la perte éventuelle du triple A. Dans ce contexte, la bataille du triple A paraît dérisoire, une escarmouche, à côté de la mère des batailles que craint l’Elysée, celle de l’euro. Combien de semaines, de mois, d’années, pour parler comme Madame Merkel, pourra perdurer une union monétaire sans solidarité. Les marchés l’ont bien compris, qui désormais attaquent cette monnaie, « qui se voulait bouclier de l’Europe et devient son boulet ». C’est même la seule bonne nouvelle dans cette histoire, l’euro baisse enfin. L’euro surévalué par la politique anti-inflationniste de la Banque Centrale Européenne, alors que c’est la récession et la déflation qui menace, est une des causes majeures des difficultés de nos entreprises à exporter. Une des sources principales des délocalisations massives et de la désindustrialisation française. Mais l’Allemagne veille, pays à la démographie très faible, elle tient avant tout à sa monnaie forte, pour protéger les pensions de ses nombreux vieux.
Elle ne tolérera pas une baisse trop forte de la monnaie européenne. C’est bien le pécher originel de l’euro, une même monnaie pour des besoins différents, de pays différents, et de plus en plus divergeant. On se demande aujourd’hui, combien de temps encore, l’euro, résistera à cette cruelle réalité…
J. D.