L'impasse
de Lionel Jospin
Flammarion (septembre 2007)
142 pages
Essai politique, Fr
Résumé
II faut revenir sur ce curieux déroulement politique et en tirer des leçons. Ce livre analyse un fourvoiement. Il engage une réflexion pour sortir de l'impasse et opérer un retour vers une exigence fondamentale faire ensemble de la politique.
Mon avis
Cet essai, écrit peu après les élections présidentielles de 2007 qui virent le sacre de Nicolas Sarkozy face à Ségolène Royal, tente d'analyser les raisons de l'échec de cette dernière, alors que PS avait la victoire à portée de main.
Après être revenu sur sa défaite personnelle de 2002 , ce fameux 21 avril , où sous nos yeux écarquillés de stupeur ( les miens en tout cas) , s'affichèrent sur nos petits écrans les photos des deux candidats qualifiés pour le second tour. D'une élection à l'autre comme s'intitule le premier chapitre, ou plutôt d'une défaite à l'autre. Lionel Jospin dit" J'assume ma défaite". A la lecture de la suite, rien n'est moins sûr tant l'aigreur semble poindre derrière ses mots . Une grande partie des chapitres suivants est consacrée à un démontage point par point de la campagne de Ségolène Royal en 2007 . Des extraits , repris par le monde du 21 septembre 2007, valent mieux que de longs discours, (cf en bas de cet article)
Plus intéressante peut-être l'analyse des Gauches, de la difficulté de l'affirmation d'un leader au sein du PS et des alliances, mais ces aspects sont étouffés par cette fixation que semble faire
Lionel Jospin sur Ségolène Royal.
A noter que sur la forme, cet essai est relativement simple et rapide à lire, bien découpé ce qui en facilite la lecture.
Il apporte en outre des pistes de réflexion pour la campagne des élections 2012 qui ne semblent pas avoir laissé indifférente l'équipe de François Hollande (par exemple éviter l'écueil de l'absence de contestation du bilan de la droite comme ce fut le cas en 2007)
La raison fondamentale de l'échec de Ségolène Royal réside en elle-même. Il tient à sa personnalité. Il était inscrit dans son style de campagne comme dans ses choix politiques. La présidente de Poitou-Charentes n'était pas le successeur de François Mitterrand, comme on l'a dit parfois en invoquant l'intensité de leur ambition respective et comme elle-même l'a suggéré. (…) La campagne de la candidate socialiste a fondamentalement souffert d'une carence de politique, dont on peut donner plusieurs signes.
Le temps laissé à la séquence dite de "campagne participative" a été trop long, retardant le moment des propositions et laissant un vide occupé presque entièrement par le candidat UMP. Ce temps de latence était d'autant plus préjudiciable que la phase de démocratie participative était loin de constituer un authentique mouvement de fond. Les réunions auxquelles participait Ségolène Royal elle-même étaient tout sauf spontanées : intervenants choisis, questions préparées à l'avance et connues, comme à Illkirch ou à Valenciennes.
Quant à l'oratrice, elle ne répondait pas aux questions, mais lisait une intervention. De cette mise en scène surgissait l'impression curieuse de questions sans réponses, puis d'une réponse étrangère aux questions. Sans doute les élus et les responsables socialistes ont-ils tenu de nombreuses rencontres participatives dans tout le pays. Mais la vérité oblige à dire qu'elles ne différaient guère des classiques réunions-débats et que les synthèses faites ensuite, difficiles à classer, n'ont finalement pas inspiré le pacte présidentiel. Dans le même temps, nous l'avons vu, Ségolène Royal construisait son projet et sa stratégie politiques sur des écarts insolites par rapport aux fondamentaux de la gauche. Faire un écart peut se révéler fécond. Mais on ne peut progresser d'écart en écart sans risquer le sautillement intellectuel et la perte de sens.
Ségolène Royal a fondé toute sa campagne – et c'était une première dans l'histoire des candidatures socialistes – non pas sur des grands thèmes politiques, mais sur elle-même et la relation particulière qu'elle était censée entretenir avec les Français. Tout a été conçu, méthodiquement, à partir de sondages et d'études qualitatives, pour entretenir ce qu'il faut bien appeler un mythe. Le soin, pour le moins inédit, mis à donner un sens symbolique à son apparence, à se vêtir de blanc, cette proximité proclamée et cette inaccessibilité organisée semblaient conçus pour provoquer ferveur et dévotion et non pas pour obtenir une adhésion réfléchie. A la fin de la campagne, on entendit même d'improbables formules religieuses ("aimons-nous les uns les autres").
De même, à partir d'intuitions plutôt justes sur l'ordre, l'autorité, la valeur travail, des slogans revenaient sans cesse ("ordre juste", "gagnant-gagnant", "désirs d'avenir", "politique par la preuve", etc.), comme si le martèlement des formules pouvait remplacer les analyses et les démonstrations. A la fin, ces expressions employées jusqu'à l'usure donnaient l'impression de masquer un vide de propositions ou de véritables arguments. Ainsi de "l'ordre juste".
La justice, dans la société, ne saurait être conçue comme un état statique et se recherche dans une dynamique. L'"ordre juste" est une formule fermée sur elle-même avec une inquiétante prétention à répondre à tout. C'est un concept simplifiant et illusoire, car il semble vouloir créer une société figée. Comment oser contester un ordre juste ? Cette formule étouffante ne tient pas compte de la complexité et des contradictions du réel.
Je sais qu'il est de bon ton, au nom des techniques politiques dites "de triangulation", de venir sur le terrain du concurrent pour capter une partie de son identité et de ses électeurs. Mais faut-il se laisser fasciner par l'idéologie de l'adversaire ? Nous avons seulement le devoir d'affronter la réalité, en l'espèce celle de l'insécurité – qui, elle, n'est pas de droite ou de gauche – pour y faire face avec nos valeurs, nos méthodes et nos mots.
Dans le cours de la campagne, Ségolène Royal a multiplié les approximations. A plusieurs reprises, ces propositions surprises, ou mal ajustées, ont déconcerté (comme sur le contrat première chance). Dans le même temps, elle n'a jamais vraiment démystifié les mesures concrètes avancées par le candidat UMP, donnant l'impression de se contenter de généralités, de formules toutes faites (le "gagnant-gagnant") ou de proclamations volontaristes (comme ce "moi, je le pourrai" asséné, au mépris des contraintes économiques, lors du débat télévisé du second tour). (…)
Ainsi se révèle une conception de la politique. Prétendre ne devoir de comptes qu'aux foules anonymes, qui sont hors d'état de vous les réclamer, dispense d'avoir à en rendre à ceux qui sont en situation et en droit de les exiger : les élus, les responsables et les militants du mouvement auquel vous appartenez.
Cette campagne a confirmé ce que l'on pouvait craindre dès le début : la présidentielle s'est jouée finalement sur la crédibilité comparée des deux principaux candidats. A cet égard, les enquêtes d'opinion ont été révélatrices. A la fin de la campagne, les électeurs enclins à voter pour Nicolas Sarkozy adhéraient assez fortement à sa personne et à son programme. En revanche, les électeurs potentiels de Ségolène Royal se reconnaissaient nettement moins dans sa personnalité et dans son projet mais se disaient souvent motivés par la crainte de son adversaire.
Progressivement, l'attention s'est concentrée sur la personnalité de Ségolène Royal et sur sa capacité à exercer la fonction présidentielle. Non pas parce qu'elle était une femme. Les Français étaient prêts à porter une femme à la présidence de la République. Et ce n'est pas non plus telle ou telle erreur précise qui lui aurait été fatale (sur le nombre et la nature de nos sous-marins nucléaires ou sur la référence religieuse d'Al-Qaida, Nicolas Sarkozy s'est trompé).
Ségolène Royal a échoué parce que, insensiblement mais inexorablement, l'idée s'est inscrite dans l'esprit de nos concitoyens que la candidate des socialistes n'avait pas la stature nécessaire pour être portée à la magistrature suprême. Ce n'était plus une question de programme, même si la candidate peinait à en montrer la cohérence. Ce n'était pas un problème d'entourage, même si celui-ci n'était pas de première force. Ce n'était pas la solitude de la prétendante, même si cet atout supposé se révélait être une faiblesse.
On vit plutôt l'installation progressive d'un sentiment de doute. Au point qu'à la crainte inspirée par Nicolas Sarkozy, aux premiers stades de la campagne, s'est finalement substituée l'inquiétude à l'égard de notre candidate. Le professionnalisme préoccupant de l'un a été préféré à l'amateurisme insécurisant de l'autre. Le supposé lien direct avec les Français, qui était au principe de la campagne de Ségolène Royal et son argument initial, n'a pas résisté à la confrontation électorale.
Dans un contexte politique potentiellement favorable, les socialistes sont partis à la bataille avec une candidate qui, malgré son aplomb et sa détermination, n'était pas taillée pour le rôle. Elle avait rejeté les armes classiques du combat politique parce qu'elle ne les possédait pas. Celles qu'elle détenait ne pouvaient la conduire à la victoire. (…)
L'auteur
Diplomate, professeur, député, il a été premier secrétaire du Parti socialiste, ministre de l'Education nationale et Premier ministre (1997-2002).