Protégé : Dis-moi papa, quelle musique tu écoutais ?

Publié le 31 décembre 2011 par Bullesonore

Il y a des fois, certains articles mettent du temps pour qu’ils soient « enfin » en ligne, d’autres par contre ne devraient jamais voir le jour. Ils traînent pendant des années, avec ta propre errance, sans savoir sur quelle page ils allaient se retrouver … sans savoir s’ils allaient s’échouer quelque part. Cela faisait des années que je me disais que j’allais surement écrire un « Dis-moi papa, quelle musique tu écoutais ? ». J’ai longtemps hésité comme si ça allait changer quelque chose dans cette pauvre vie.

Il a fallu tout d’abord partir à la recherche de ce père à travers la musique, à travers les rencontres, dans les yeux d’une blonde, dans les soirées qui ne se finissaient jamais, dans le vinyl d’un déjanté passionné, ou dans les souvenirs d’une enfance heureuse.

« Dis-moi papa, quelle musique tu écoutais ?»

J’aurai rêvé de dire «Mon père est un grand fan de rock et j’ai grandi en écoutant Deep Purple, Pink Floyd, Led Zeppelin, Lou Reed, David Bowie, …». Je ne sais même pas si mon père aimait le rock, s’il a apprécié l’homme qui venait de mars autant que j’ai adulé Ziggy et ses drôles d’histoires.

Au tout début, y a eu Cross Road et une adulation quasi-folle, à 10 ans, pour Bon Jovi. Les journées passées à chanter en yaourt sur Someday I’ll Be Saturday Night ou bien Always, j’ai tellement écouté ce disque qu’il s’est fâché avec la chaîne hifi et n’a plus voulu passer sur aucun support… Je m’étais finalement jeté corps et âme sur un Slippery When Wet et New JerseySomeday I’ll Be Saturday Night, morceau très plaisant et chanson qui me faisait briller les yeux à l’époque (la petite histoire dit que le style de Bruce Springsteen planait sur ce morceau, normal ce dernier n’est que l’idole de Jon Bon Jovi…). Un peu curieux, Bon Jovi m’a emmené à apprécier « The Boss » et ses albums The River et Born in the U.S.A..

« Dis-moi papa, tu étais plus Gene Vincent ou Elvis Presley ?»

Il y a eu  Jerry Lee Lewis,  Elvis PresleyLittle Richard et Chuck Berry .Et aussi Gene Vincent , le félin, l’ange noir. Je me suis toujours demandé si tu les avais aimé papa, si à 12/13 ans tu étais un adepte du Be-Bop-A-Lula. As-tu aussi idolâtré Gene, l’icône de toute une génération, de ta génération, l’idole de John Lennon et de David Bowie ? As-tu succombé à la magie de cet artiste qui s’est lentement détruit pour mourir ?  Dis-moi papa, tu écoutais quoi comme musique quand tu avais 13 ans ?

C’était en 1996 ou 1997, je ne me souviens plus vraiment. Une vieille cassette qui traînait et où était enregistré dessus le MTV Unplugged in New York de Nirvana, et me voilà enfin rentré dans l’ère du grunge (avec un peu de retard). J’avais troqué Bon Jovi (et Bryan Adams) pour des chansons pleines de solitude, de mélancolie, de tritesse et de désespoir. Je suis tombé en amour de cette voix cassée et déchirée de Kurt Cobain dont je venais de découvrir l’existence (et la mort). Ébloui par cette prestation époustouflante et mémorable, scotché par la reprise étonnante et déchirante The man who sold the world de David Bowie ou encore l’excellent final Where did you sleep last night, je suis tombé en amour des anges déchus du grunge.

Jeans troués, Docs Martens ou Converse, chemise de bûcheron, cheveux longs et skate pas loin … Je crois que je n’avais rien compris à ce mouvement, d’ailleurs je n’avais rien du grungy exemplaire ! Mais j’ai adoré cette musique, je me suis noyé dans l’univers de ce groupe ( Pearl Jam) et leur chanteur, intriguant et assez timide, qui apparaissait quelque fois avec un masque pour ne pas avoir à regarder la foule. Ce n’était pas des disques de chevet mais Vitalogy et Ten ont été de bonne compagnie. En restant dans la ville de Seattle, j’ai succombé à Superunknown : Le monumental Fell On Black Days et son blues faussement sage, l’incontournable Black Hole Sun, les ambiances psychédéliques avec Fresh Tendrils ou Half, …

-D’ailleurs papa, qu’as-tu retenu des années hippies ? Et ces vieux camarades qui racontaient que dès la fin des années 1960, Jimi Hendrix et les Rolling Stones se rendaient souvent au Maroc en quête d’inspiration ou seulement à la recherche du mythe de Tanger présent dans les oeuvres des écrivains de la dite-Beat Generation, William S. Burroughs et Paul Bowles. Les as-tu rencontrés ?-

En écoutant Superunknown, je t’imaginais jeune portant des lunettes à la John Lennon, des cheveux légèrement longs et frisés, attachés d’un bandeau, et un grand amour pour la musique de Jethro Tull. Mais ça ne reste que de l’imagination, je n’ai jamais eu la réponse … Et je ne l’aurai jamais.

«Dis-moi papa, Chet Baker c’était un ange ?»

Quand j’étais petit, mon imagination était débordante et je possédais un don, une capacité tellement merveilleuse qui me permettait de décrocher totalement du monde qui m’entourait, ce monde que j’ai détesté. A 13 ans, je possédais toujours cette capacité, et elle m’avait sauvé du monde des humains.

Quand tu es parti papa, j’avais découvert l’existence de quelques vinyls que tu as laissé, des vieux enregistrements de jazz de Louis Armstrong à Miles Davis (peut-être y a eu John Coltrane et Ella Fitzgerald aussi). Ma mémoire me fait défaut, mais n’empêche je m’étais rendu compte que tu aimais le jazz.

Bien plus tard sur mon parcours, j’ai rencontré une fan de Chet Baker, elle m’a initié à cette musique, à la belle mélancolie apesante de cet ange déchu. On avait passé des nuits entières à parler de Chet, me racontant ces premiers souvenirs d’enfance, ceux d’un mai 1988 où elle n’avait que 5 ans et son père foudroyait par l’annonce de la fin mystérieuse et tragique de cet être angélique. Elle s’en souviendra toute sa vie de son père pleurant en silence le départ précipité de son idole.

Des nuits entières, j’ai laissé la sonorité de cette trompette si atypique guidait un peu mes insomnies. Ce chant déchirant et bouleversant me soulageait, une véritable ode à la vie que j’aimais par-dessus tout. Je me suis baigné dans cette souffrance magnifique, cette musique intense et si sensuelle. Comme une boîte à souvenirs, je sortais les disques de Chet pour toi, pour le souvenir, pour cette quête infinie …

Tu sais papa, il est resté comme toi, un ovni, un bel ovni dans ma vie.

« Dis papa, il faut bien toucher la lumière en ces jours étranges ?»

A partir de mes 14/15 ans, j’ai beaucoup lu, j’ai lu lu lu jusqu’à m’éloigner de la réalité. Je me suis intéressé à William BurroughsPaul AusterHubert SelbySamuel Beckett ou bien Jack Kerouac, … L’envie était la même, fuir la réalité et se faire violence. Puis, j’ai commencé à écrire, j’ai écrit, écrit, écrit, jusqu’à en perdre le sens, des journaux intimes qui ont tous connu le même sort… mort à petit feu jusqu’à la dernière ligne. Dans cette fuite, j’ai rencontré une québécoise -qui fut l’une de mes plus belles rencontres, et les plus éprouvantes aussi- qui avait l’art de l’évasion. Pianotant sur son instrument fétiche, elle m’avait ouverte les portes musicales de Pierre LapointeLes Cowboys FringantsKarkwa, Patrick Watson et puis la fée Lhasa.

Papa, je pense que tu avais tes divas de Fairuz à Oum Kalthoum et ces voix incomparables. Tu sais, j’en avais aussi des divas mais je les appelais souvent « Mes fées » ! C’était de belles pleureuses, envoûtantes et attachantes, qui venaient me tenir compagnie la nuit. Des étoiles qui portaient la lumière en elles et chantaient à s’en déchirer l’âme. Elles s’appelaient  BarbaraLhasaBjörk ou Billie Holiday. D’un coup de voix magique, ma réalité n’était plus la même. Malgré les textes vibrants brûlants et dépressifs, je me sentais habité par leurs poésies, je sentais mon coeur frémir à l’écoute de leurs amours brisés et déçus.

Un jour, Océane avait pris sa décision … le monde n’avait plus besoin d’elle, ses ailes avaient enfin poussé et elle voulait voir comment c’était là-haut. Tu as surement dû la croiser depuis, pianotant sans cesse du Pierre Lapointe (elle en était folle amoureuse, mais chut elle n’aimait pas qu’on révèle son petit secret). Océane m’avait exprès laissé sa boite à musique comme s’il fallait que je vive chacune de ses musiques à elle, comme si pour la revoir je me devais d’écouter La Llorona et La Forêt des Mal-Aimés. La mélancolie de ces artistes me prenait directement aux tripes, je m’engouffrais doucement dans ces voyages poignants dont je ne connaissais pas l’arrivée.

Un soir d’été 2005 (si on compte le décalage horaire, c’était plutôt au petit matin … mais qu’importe), Océane m’avait appelé les larmes aux yeux «Lhasa a chanté c’soir, elle a repris Aatini Al Nay de Fairuz, j’ai pensé à toi, j’ai pensé à vous deux …». Quelques années plus tard, j’ai retrouvé sur youtube ce passage dont m’avait parlé ma blonde, j’ai pleuré ma chienne de vie tellement c’était beau. Tu sais papa, en te cherchant dans certaines musiques, j’avançais tout doucement, habité par une certaine crainte, sur une route dont j’ignorais le tracé. Océane, cette émotive à fleur de peau, m’avait retrouvé alors que je m’aventurais au tréfonds de mon âme et avait décidé de prendre la route avec moi. Elle avait une façon unique et poignante à faire retentir en moi quelque chose que je ne possède résolument pas. Aujourd’hui, j’ai décidé de laisser flotter mon coeur et mes histoires qui étaient pleines de vie.

Dis papa, peux-tu demander à Océane de te jouer Tel un seul homme ? Tu sais, je me languis d’elle, je me languis de vous…