La justice internationale, ou la loi du vainqueur

Publié le 31 décembre 2011 par Alex75

 

Transféré le 30 novembre 2011, au centre de détention de La Haye, Laurent Gbagbo a comparu pour la première fois, devant la Cour Pénale Internationale, le lundi 5 décembre dernier. L’ex-président ivoirien est le premier chef d’Etat, à comparaitre devant le Tribunal Pénal International, né en 2002. Il est poursuivi pour quatre chefs d’accusation, en tant que co-auteur indirect, au cours de la récente crise post-électorale ivoirienne, ayant tourné à la guerre civile entre décembre 2010 et avril dernier. Et oui, les grands mots sont de sortie : « Crimes contre l’humanité, communauté internationale, justice ». Le procureur du TPI y tenait, lui qui n’avait pu accrocher à son tableau de chasse, le soudanais Omar El-Beshir, qui est toujours président de son pays. Cette juridiction, nous dit-on, serait un progrès historique du droit et de la justice. Les tyrans désormais hésiteraient avant de massacrer des populations innocentes. Le TPI est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, on ne le conteste pas. Ils ne sont plus impunis et ne pourraient plus jouir de leurs crimes et de leurs rapinages, sur le principe. Mais ce grand progrès historique se révèle également, il convient de l’analyser dans le cas présent, être la mise en forme judiciaire d’une des plus vieilles lois de l’humanité, « Malheur aux vaincus ». Car Laurent Gbagbo n’aurait -hélas-, jamais été jugé, s’il n’avait pas perdu la guerre civile, qui l’opposa à son adversaire, Alassane Ouattara, aidé par l’armée française. On reproche à Gbagbo de n’avoir pas accepté sa défaite électorale. Mais qu’est-ce qu’il nous prouve qu’il a davantage triché que son rival ? Que sont devenus les officiers de Ouattara, qui ont commis d’autres crimes contre les civils, non moins affreux. Non seulement ils n’ont pas été jugés, mais ils ont été promus par le nouveau président ivoirien. D’ailleurs, ce conflit n’était d’ailleurs pas un bras de fer entre des « gentils » et des « méchants ». Mais une lutte pour le pouvoir entre les représentants d’ethnies, composant la population d’un Etat africain aux frontières tracées artificiellement, tenu sous la férule autoritaire d’Houphouët-Boigny, durant une quarantaine d’années et dans le cadre de problématiques antérieures à la colonisation. Par ailleurs, avant Gbagbo, des officiers serbes ont eux aussi, connu la paille des cachots hollandais. Pas des tendres, non ces serbes, ni des innocents, on ne le conteste pas. Mais surtout des vaincus, qui durent subir la loi des avions de l’Otan. Certains officiers croates ou bosniaques, ne sont pas moins absous de nombreux crimes, perpétués durant ces conflits d’ex-Yougoslavie, particulièrement cruels à l’égard des populations civiles. Personne ne jugera Poutine, pour avoir massacré les Tchétchènes. Personne ne jugera les dirigeants du parti communiste chinois, pour avoir envoyé les chars sur les manifestants de la place Tienanmen. On pourrait continuer longtemps cette nouvelle version du deux poids / deux mesures. La guerre, c’est malheur au vaincu, nous l’avons dit. Mais les lois de la guerre traditionnelle entre rois européens, qui ont régi pendant des siècles les relations internationales, ne condamnaient pas le vaincu au nom de la morale ! Cette inflexion est récente, tournant d’ailleurs à l’hypocrisie diplomatique. Elle date du XXe siècle. Les Allemands furent considérés, moralement, comme responsables de la guerre de 14-18 -et c’est d’ailleurs poussé par une opinion publique traumatisée par la guerre, et prétextant que « le boche doit payer », que les exigences envers l’Allemagne du « Père de la Victoire », ont pu être considérées par certains comme exorbitantes, nombre d’historiens contemporains estimant que Clémenceau porte une certaine responsabilité dans les erreurs du traité de Versailles. Les grands dignitaires nazis furent jugés à Nuremberg pour crimes contre l’humanité, ce qui fut un grand progrès dans l’histoire de la justice internationale. Cependant, cette manière de juger l’adversaire vient plutôt de la tradition anglo-saxonne. Napoléon était déjà présenté par la propagande anglaise comme un ogre, ennemi de l’humanité. Et les Américains conjugueront cet héritage anglais, avec leur isolationnisme originel. S’ils se décidaient à guerroyer en-dehors de leurs frontières, ce ne pouvait être à leurs yeux puritains, que pour faire le bien. Et leur adversaire ne pouvait donc incarner que le mal, dans une vision manichéenne ne les a jamais quittés, sur le plan diplomatique. Saddam Hussein fut présenté comme un nouvel Hitler. Le paradoxe est que les Américains n’ont jamais reconnu, ni ratifié le traité de Rome, qui fonda la Cour Pénale Internationale, dans une problématique qui devra conduire à une résolution diplomatique, sur la forme, un jour ou l’autre.  La justice, ils la rendent eux-mêmes, en faisant la guerre sur le territoire de ceux qu’ils considèrent comme une incarnation du mal. « A l’ancienne« .

  J. D.