Pierre-Jakez Hélias est né en 1914 (décédé en 1995) au bourg de Pouldreuzic, sur la baie d’Audierne, de parents ouvriers agricoles, cultivateurs sans terre. Dans son ouvrage Le Cheval d’Orgueil, paru en 1975, et sous-titré, mémoires d’un Breton du pays bigouden, il se souvient du Jour de l’An au temps de ses jeunes années.
« Une semaine plus tard c’est le Jour de l’An. Ce n’est pas une fête religieuse, à vrai dire, mais elle arrive dans la foulée de Noël. Et puis, les vœux que l’on fait ce jour-là n’appellent-ils pas sur nous la protection de la Trinité ! La nuit qui précède, beaucoup d’hommes se sont réunis, les uns dans quelque cabaret, les autres chez l’un d’entre eux qui a de la place, pour faire ce qu’on appelle depuis peu un réveillon. Ils ont passé des heures à jouer au brelan dans la fumée des pipes et des cigarettes roulées à la main, s’arrêtant seulement autour de minuit pour manger des charcuteries à frais communs. Mais la boisson n’a pas manqué.
Nous ne connaissons pas les repas de nuit. Le réveillon lui-même est difficilement toléré par le clergé dela paroisse. Lanuit est mauvaise conseillère. Le diable y fait son sabbat de préférence. En chaire, le prêtre raconte des histoires édifiantes de « chats de nuit » qui ont été trouvés, le lendemain, morts dans quelque fossé et en état de pêché mortel bien entendu. C’est demain, au plein jour de midi, que ce fera le grand repas de l’an nouveau. En prévision de ce lendemain, comme les autres enfants, je suis allé au lit plus tôt que d’habitude. (…/…)
C’est alors qu’un galop de sabots pressés retentit dehors, la première troupe d’enfants quêteurs atteint notre seuil. Un silence. Ils s’agenouillent sur la pierre et d’un seul coup, des voix perçantes et mal accordées clament la litanie du Jour de l’An : « Une bonne année je vous souhaite, beaucoup d’avantages, une longue vie et le paradis à la fin de vos jours ! » Quelquefois, un loustic ajoute « avec vos sabots », mais seulement à mi-voix. A cela on reconnaît les enfants du bourg. Ceux de la campagne sont plus sérieux. « Il faut que j’aille » dit ma mère. J’entends le bruit de son trousseau de clés. Elle passe dans la chambre pour ouvrir son armoire de noces, la « presse », où elle a préparé des piles de monnaie de bronze et quelques pièces blanches. Elle en fait la distribution aux enfants selon les relations qu’elle entretient avec leurs parents. Le petit sou est pour les inconnus quand ils ont fait connaître d’où ils sont. Voilà qui est fait. Nouvelle litanie de reconnaissance et les petits bougres prennent leur volée vers d’autres seuils. »