Alexandre SOUMET : La nuit de Noël

Publié le 31 décembre 2011 par Unpeudetao

ÉLÉGIE

   TANDIS que tes flots du torrent
Inondaient la forêt par l’hiver dépouillée,
Une mère à coté de son fils expirant,
   Prolongeait sa triste veillée.
   Muette, et pâle de douleurs,
   Dans sa cabane solitaire,
   Elle pleurait.. et sur la terre
Nul mortel n’a daigné s’informer de ses pleurs.

   Sans se plaindre à l’Être suprême,
   Elle a vu fuir tous ses amis :
Pauvre mère ! peut-être il faudra qu’elle-même
Du funeste linceul enveloppe son fils ;
Son fils !.. Elle succombe à ces tristes pensées.
Tout à coup du hameau les cloches balancées
Vers le temple des champs appellent les mortels ;
On célébrait alors, au pied des saints autels,
   Cette nuit chaste et fortunée
Qui vit naître l’enfant délices d’Israël ;
   Et, de rayons purs couronnée,
L’étoile de Jacob se montrait dans le ciel :
   Sa miraculeuse lumière,
L’airain qui retentit de moments en moments
   Dans le cœur navré d’une mère,
Font naître par degrés d’heureux pressentiments.
   Hélas ! à force de tourments
Elle avait oublié jusques à la prière.
   Faible, le front couvert de deuil,
Confiant à son Dieu l’objet de ses alarmes,
De sa triste cabane elle passe le seuil,
Et bientôt les autels sont baignés de ses larmes.

   « Toi ! dont le secours est promis
   « Au chrétien souffrant et fidèle,
« Épouse du Seigneur, écoute-moi, dit-elle ;
« J’abandonne pour toi la couche de mon fils.
   « De tes demeures éternelles
   « Daigne descendre dans ce lieu ;
« Tu sentis comme moi les craintes maternelles,
« Tu tremblas pour ton fils, et ton fils était Dieu.
   « Contre la tempête Inhumaine
« Protège un lis mourant qui n’a plus de soutien ;
   « Mon enfant commençait à peine
   « À prononcer le nom du tien.
« Ne m’en sépare pas ; je l’entends qui m’appelle ;
« De son lit de douleur je reprends le chemin ;
   « Adieu je reviendrai demain
« Déposer son berceau dans ta sainte chapelle. »

   Elle dit, et déjà ses pas
   Se sont tournés vers sa chaumière ;
   Mais, au retour de la lumière,
Dans l’église rustique elle ne revint pas.
   Les cierges des morts s’allumèrent,
   Et devant le temple attristé
   Le soir, à leur pâle clarté,
   Deux cercueils inégaux passèrent.

Alexandre SOUMET (1788-1845).

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