La guimauve et nous

Publié le 30 décembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Nous sommes devenus un peuple incapable de résister à la guimauve, accroc à la « gratification instantanée » : nous voulons jouir tout de suite, et reporter le coût à plus tard.

Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec

Nous sommes en 1972, en Californie. Des chercheurs offrent des guimauves à des enfants de 4 ans qu’ils invitent dans une pièce, un à la fois. « Voici une guimauve, dit le chercheur. Tu peux la manger. Mais je vais revenir dans cinq minutes. Si tu n’as toujours pas mangé la guimauve, je vais t’en donner une autre. C’est ton choix. Tu la manges ou tu la gardes ». Les scientifiques ont ensuite suivi le parcours de ces enfants sur plusieurs années. Leur trouvaille : les enfants qui ont gardé la guimauve sont plus confiants. Ils ont plus d’amis, de meilleurs résultats scolaires et de meilleurs emplois.

Cette simple expérience pourrait expliquer, beaucoup mieux que les théories politiques ou les débats gauche-droite, plusieurs problèmes qui nous affligent en cette fin 2011.

Des accrocs

Geoffrey Colvin, du magazine Fortune, racontait cette histoire en 2004. Et son constat est encore plus vrai aujourd’hui : nous sommes devenus un peuple incapable de résister à la guimauve. Accrocs à la « gratification instantanée ». Nous voulons jouir tout de suite, et reporter le coût à plus tard. Achetez en un clic de souris. Sortez du magasin avec un spa, payez en 112 versements. Nouvelle instantanée, message instantané, nouilles instantanées. Y a qu’à l’urgence qu’on attend plus longtemps qu’avant…

Les Américains achetaient — et le font encore — des maisons à 500 000 $ sans mise de fonds. On ne fait guère mieux ici. Le crédit est devenu un mode de vie. Le taux d’endettement des Canadiens sur leur revenu atteint aujourd’hui 153 %. C’est près du double par rapport aux années 1980! Et de moins en moins de gens épargnent pour leur retraite — un concept de plus en plus abstrait.

Nos gouvernements font pareil. Depuis 40 ans ils dépensent plus qu’ils ne gagnent. On peut blâmer les groupes d’intérêt égoïstes et les politiciens qui achètent des votes. Reste que les électeurs sont en partie complices. Serait-ce parce qu’eux-mêmes désirent leur gratification instantanée? Et reporter la facture à plus tard? Comment diable nos élus peuvent-ils viser des buts et construire des politiques à long terme dans ces conditions?

Même notre santé y passe. J’écoutais le Docteur Richard Béliveau parler l’autre jour à la télé. Si la majorité des Québécois observait quelques règles simples comme ne pas fumer, faire de l’exercice, manger des légumes et éviter la malbouffe, disait-il, on viderait les hôpitaux! On réglerait du coup les problèmes budgétaires. Mais seule une infime partie de la population applique ses règles. Pourquoi? Parce que les gens veulent du plaisir immédiat, expliquait le docteur. Ne leur parlez pas des bénéfices dans 20-30 ans de manger une carotte aujourd’hui. Ils veulent engouffrer une poutine, maintenant!

Dans le frigo!

C’est pour ça que des gens insistent pour que le budget de la santé inclut un volet « prévention » plus gros. Pour ça qu’une loi anti-déficit — une vraie, avec des dents — est plus que jamais nécessaire pour empêcher nos politiciens d’hypothéquer l’avenir de nos enfants. Pour ça que des idées comme le REER obligatoire font surface. C’est pour nous protéger de nous-mêmes. Et de notre dépendance à la gratification instantanée. Parce que nous avons perdu la volonté de sacrifier le plaisir immédiat au profit de celui de demain. Parce que de plus en plus, demain n’existe pas.

Mais détrompez-vous : ceci est une chronique positive. Car si ce raisonnement tient la route, ça veut dire que ce n’est ni la faute au « système », aux politiciens ou à une quelconque force extérieure. C’est nous qui façonnons le système, à notre image. Nous détenons le pouvoir, chacun de nous, de faire dévier le cours des choses. (Oui, c’est cliché. Et naïf. Mais bon, c’est ma chronique de fin d’année…)

On peut remettre sa guimauve dans le réfrigérateur. Parce qu’on n’a pas vraiment faim, dans le fond. Et collectivement, ça peut faire toute une différence.

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