Dans le monde qui se construit sous nos yeux, même si nous vivons tous sur la même planète au même moment, les pays évoluent pourtant, quant à eux, dans trois temps différents :
1) l'Europe et une partie de l'Occident vivent dans un temps "post-national" : ce qui importe c'est moins la puissance des nations que la solidarité qui les lie par des règles de droit, rendant toute idée de guerre impossible. Dans ce contexte, l'idée-même "d'Europe-puissance" paraît à certains désuète, "d'un autre temps", justement.
2) les pays émergents, pour leur part, vivent pleinement le temps "national". Ce qui compte, c'est le développement de sa propre puissance. C'est le temps de l'affirmation de soi.
3) d'autres pays, enfin, rongés par la pauvreté et la guerre, vivent dans un temps "pré-national". On n'en est pas encore à l'affirmation de la puissance, mais à celui de la construction de ses fondations, c'est-à-dire d'une identité nationale et des institutions pour la faire vivre.
Dès lors, comment rendre sûr et harmonieux un monde dans lequel les pays ne partagent pas les mêmes ambitions pour eux-mêmes ?
- pour les pays de la 1ère catégorie, il s'agit de convaincre l'opinion que "l'Europe-puissance" n'est pas un retour en arrière mais une nécessité imposée par le reste du monde. L'utopie post-nationale a, pour le coup, un temps d'avance : il faut la promouvoir sans y succomber ;
- pour les pays de la 2ème catégorie, il s'agit de mettre en garde contre les excès d'une affirmation de soi trop forte. L'expérience européenne le prouve : elle peut conduire au pire. Il s'agit de les convaincre que la puissance solitaire est, pour eux-mêmes, moins pertinente que la puissance assise sur des liens transnationaux forts ;
- pour les pays de la 3ème catégorie, il s'agit de les aider à "habiter" le même temps que les autres et donc à bâtir les seules institutions qui permettent de construire l'avenir avec sérieux : des Etats, dignes de ce nom.
L'idée post-nationale est née en Europe avec la fin de la seconde guerre mondiale. Souhaitons qu'il ne faudra pas, à nouveau, une déflagration universelle pour l'imposer partout.
La promouvoir, donc, mais sans céder à la naïveté de croire que le reste du monde y adhère.