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Roger et Roger (1)

Publié le 13 février 2008 par Rogerroger
Nous fêtons mes douze ans, en famille, comme il se doit. Le 29 février 1972. Mes frères chahutent, ricanent. Mon père sirote un whisky, comme à l’accoutumée. Ma mère s’active devant ses casseroles.
On sonne à la porte. Cette sonnette stridente que j’aimais bien, car pour moi, à cet âge là, les intrusions dans notre cocon douillet n’étaient porteuses en général que de bonnes nouvelles, ou de colis, ou annonçaient des visites pittoresques. Au pire, si je puis dire, cela pouvait être un pasteur barbant, mais s’il venait avec des friandises, on était prêt à supporter ses sermons.
Cette fois là encore, à priori, rien de suspect. Mon grand frère Yves revient à la cuisine – grande pièce chaleureuse où nous prenons tous nos repas – et annonce mi-sérieux mi-moqueur que c’est pour moi, un monsieur, inconnu, bien mis. Enfin, «bien mis », Yves l’avait claironné à sa manière, probablement un : « sapé comme un prince » ou un : « pas un clodo, le mec »…
Mon père, par pur principe, lève théâtralement son épais sourcil droit, nous indiquant qu’il reste maître à bord, garant des bonnes fréquentations de tous les membres de sa famille. Un fin sourire indique dans le même temps que la menace, si tel est le cas, est traitée à la légère, avec humour et désinvolture, marques de fabrique des Roger.
« Vas-y, Roger ! » lance mon frère cadet, Lucien. « Dévalise-le ! »
Ma mère affiche sa contrariété.
Son repas est prêt et ne peut attendre, ses fils s’expriment mal, son mari boit… Mais elle s’accommode également de l’ambiance du moment, puisque ses garçons s’amusent …
« C’est peut-être le maire de Toulouse ? » pouffe Yves. Mon père s’esclaffe. Après les pasteurs chers à ma mère, les hommes politiques de droite sont ses cibles préférées.
Je me suis levé, bien sûr. Je suis timide mais l’excitation est forte, comme si le Père Noël était à ma porte, en plein jour. J’emprunte le long corridor sombre qui mène à la grande entrée encombrée de meubles.
Derrière la porte d’entrée entrebâillée, l’homme attend, calmement, sur le perron.
Je lui trouve un air de famille. Il me sourit mais son regard me transperce, comme s’il me connaissait intimement et je me sens rougir.
L’inconnu se penche légèrement en avant, semblant vouloir m’étreindre, il parle d’une voix grave et douce. Il parle bas. Il parle pour moi seul.
« Roger, dit-il, c’est moi. Roger… » Il se tapote la poitrine, pour m’aider à sortir de mon hébétude. « Je suis Roger Roger ». « Enfin… moi aussi... »

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