Adeline Olivre
Pan de muraille, Alidades, 2011.
LA STUPEUR ET L’ÉLAN
La voix qui parle ici ne s’offre pas d’emblée. Fragmentaire, heurtée, allusive elle est difficile, comme essoufflée. Le tiret qui coupe, sépare, en est la seule ponctuation. La voix qui parle ici se cherche. Et d’abord, dans le mouvement d’une eau omniprésente à travers ces pages : du début (« Et l’orage — le ruisseau — que le chaos prend ») à la fin (« J’appelle — l’eau — qui court »). Une eau qui vous emporte, vous éblouit, mais où vous pouvez aussi vous perdre.
Car, au commencement, il y a la perte — la noyade. « Après c’est la noyade » — dit-elle. Ou la pétrification. L’automne est un « coma » de feuilles. Un drame a eu lieu. Celui de l’amour ? « J’ai regardé mon amour / Qui allait / Á contre corps » Perdu, désiré, trouvé, perdu, on ne sait pas, cet amour occupe le centre du recueil et nous vaut une des rares visions éclaircies de ces pages , presque apaisées, malgré la tristesse,:
Dans le rose et dans le bleu vous quittiez ma cuisine je vous regardais disparaître sous les arbres du seuil de la porte je voulais courir vous chercher marcher avec vous aller où vous alliez je voulais que vous passiez vos mains dans mes cheveux vos mains dans mes cheveux
Mais de cette vision, sort en même temps un cri muet qui donne à cette voix sa violence, sa fragilité — son intensité : « Ce cri / Au cri un chat qui le griffe / Ce chat c’est moi ce cri aussi / Dépecée — / ce qui m’ensauvage / en moi ».
Cette voix essaie d’aller là où plus rien ne peut se dire. Elle cherche la cassure, le bord. Celui de cette falaise où se tenir avec la peur soudaine ? « Se tenir où la surprise effraie / Balcon sans rambarde ». Elle se heurte à ce qui obstrue comme cette muraille qui donne son titre au livre. La pan gris qui ferme (« C’est la fin qui dure, dure / C’est mourir — ce qui est »).
Oui, quelque chose a eu lieu — un déchirement. Mais c’est aussi par lui que la voix se retrouve. Comme une voix d’enfant qui se (re)met à parler. On l’écoute. Elle dit que par-delà la brisure, la perte, il y a ce mouvement qui vous traverse, vous ouvre. A quoi ? On ne sait pas. Au monde, peut-être :
J’ai perdu conscience — je suis mouvement — à nouveau
J’appelle — l’eau — qui court
Dans les longs prés jaunes de l’automne — les vaches meuglent
La voix qui parle ici est comme un ruisseau — elle est ce ruisseau, tantôt, sauvage, violent, tantôt immobile, obscur, tantôt léger, miroitant. Qui vous prend, vous emporte et vous laisse, dans la stupeur et l’élan des choses qui commencent.