En 2012, je m’apprête à fêter mes 20 ans. De travail.
En 1992, j’apprenais le métier que je fais encore (un peu) aujourd’hui. Avec un équipement et un rythme assez différent de ce qu’on connait aujourd’hui : j’ai connu la magie de la communication avant la technologie et Internet.
Mon quotidien était celui d’un assistant attaché de presse en agence. Ma mission préférée était de rédiger des communiqués et dossiers de presse. C’est donc avec mon plus beau stylo que je me lançais dans des envolées lyriques pour évoquer le débarquement des forces alliées en célébrant l’anniversaire des briquets Zippo ou donner des idées cadeaux issus des magasins Soho pour la Saint Valentin. Après relecture et validation par ma boss de la version papier, je me lançais dans la retranscription sur un Mac dont l’écran de 13 cm affichait rarement d’autres couleurs que le vert à l’allumage. Je tapais à deux doigts, rythmé par le bruit du canard à chaque fausse manip. 30 minutes pour rédiger, 2 jours pour retranscrire, un bon petit rythme.
Après finalisation du document, j’étais en charge de son impression en 1000 exemplaires chez mes potes de Copy Top puis l’assemblage et la mise sous pli dans des enveloppes marquées d’adresses écrites à la main « pour créer de la proximité ». De toute façon, les coordonnées des journalistes étaient compilés dans de grands classeurs qui ne permettaient pas vraiment l’impression d’étiquettes. Un affranchissage et un détour pour la poste plus tard, ma prose n’avait finalement mis qu’une bonne semaine pour atteindre les rédactions. Le tout en respectant les délais de bouclage : pour la Saint Valentin, c’est en octobre que les informations partaient aux mensuels. La seule capacité à anticiper 4 mois à l’avance rappelle à quel point je parle d’un autre siècle…
Venait alors le temps des « relances journalistes ». Perdus sous des montagne de courrier qu’ils avaient arrêté d’ouvrir depuis longtemps, malgré les efforts que nous mettions à rendre nos dossiers attrayants même empilés sur un bureau, les journalistes accueillaient mes appels avec une humeur variable. Ce que je préférais, c’était les relances pour Vanity Fair, une marque de lingerie branchée qui m’entrainait dans des discussions surréalistes avec la presse féminine sur les avantages de telle ou telle texture pour un soutien-gorge. On passait des heures au téléphone. Moi qui répétais mon texte avant d’appeler pour prendre un rendez-vous chez le dentiste quand j’étais ado, je me retrouvais à appeler des inconnus avec le challenge d’obtenir une conversation plutôt qu’un monologue de marchand de tapis. A cette époque, une bonne cinquantaine de journalistes sont devenus des amis, ce qui m’a permis de nourrir le plus beau cliché de l’attaché de presse : « Ma chérie, ça va toi en ce moment ? Ca s’arrange avec Patrick ? Faut ABSOLUMENT qu’on dej… Et sinon, tu travailles sur quoi en ce moment ? Parce que j’avais pensé pour ta fameuse page rouge annuelle à un sublime stylo plume carmin que tu vas ADORER, je te l’envoie par coursier dans les 2 jours. Bien sûr je t’écrirai la légende qui va avec ma chérie, je sais que tu as beaucoup de travail« .
OK, j’en rajoute mais c’était de cet ordre là. Quand je faisais bien mon travail, plein de retombées presse arrivaient de l’Argus de la presse, découpées à la machette dans de grandes enveloppes cartonnées. Je devais alors tout redécouper, souvent aller acheter l’original en kiosque pour récupérer un bout de l’article oublié et coller dans de grands classeurs sur du papier Canson noir jet.
L’absence de mail créait un rythme différent en particulier en cas de traduction : nous recevions par la poste une disquette qu’il fallait envoyer chez un traducteur choisi plutôt à Paris pour gagner un peu de temps. Lors des salons et l’émulation qui va avec, nous recevions en quasi temps réel les drafts par fax, pas le temps d’attendre la poste pendant 24 heures, les versions françaises étaient alors travaillées sur place par un traducteur qui venait s’installer dans l’agence quelques jours.
Les 3 premières années de ma vie professionnelle se sont donc écoulées sans que j’ai vraiment l’opportunité (ni le besoin) d’apprendre à taper sur un clavier avec plus de 2 doigts, le téléphone collé aux oreilles du matin au soir. Etonnamment, je ne me souviens pas de la première fois que j’ai utilisé Internet et les emails dans mon travail et j’ai mis du temps avant d’en mesurer le bouleversement dans mon quotidien. Je regrette parfois son charme désuet, j’avoue.