Lundi 12 Décembre, 14h et quelques.
"Je ne sais pas, je suis épuisé. Tout ça demande trop d'efforts. On m'a prévenu au centre anti-douleurs: il me faudra toujours beaucoup plus d'efforts et de volonté que pour la plupart des gens pour arriver à un maigre résultat. Mais, simplement, je ne peux plus.
-Comment ça?
-Enfin merde quoi. Gérer la douleur physique, tenter constamment de m'occuper l'esprit. Ne jamais s'arrêter tout ça pour ne pas reprendre la danse avec mes démons. C'est épuisant, épuisant.
-Tu sais pourtant qu'on n'a rien sans rien.
-Oui, mais là je n'ai rien avec tout. Même au travail, il n'y a plus cette adrénaline. Au début, balancer une garantie, séduire les clients, qu'ils en soient presque pendus à mes lèvres, c'était aussi bon qu'un rail de coke, qu'un fix de n'importe quoi. Là, c'est devenu habituel.
-Il t'en faut plus, c'est ça?
-Voilà. Ça aussi, ça devient désespérant, crevant. Comme si plus rien ne m'excitait. Merde.
-Que veux-tu dire?
-Que je n'en peux plus, bon dieu. Constamment chercher un sens à toutes ces conneries, au lieu de tout laisser aller, de m'en foutre. Je viens de vous le dire, je suis fatigué. Physiquement, intellectuellement. Toujours en marche. Je me reposerai dans une autre vie.
-Et les émotions?
-Je ne sais pas. Tout redevient fade, sans saveur, sans couleur.
-Bon, on va s'arrêter là pour aujourd'hui.
-Oui. Par contre j'aurai besoin de Dicodin et de Lexomil. Et du Théralène, si vous voulez bien.
-Du Théralène? Bah, ce n'est pas avec ça qu'on se drogue.
-Oui, mais c'est avec ça qu'on dort.
-C'est vrai, et le lendemain matin on regrette.
-Oui, mais bon, j'ai besoin de sommeil.
-Je te prescris tout ça.
-Merci."
J'ai traversé la ville, plus fantôme que jamais. La pharmacienne m'a fait un joli sourire en me tendant mon sachet de dope. J'ai ouvert les boîtes de médicaments en marchant et ai rempli mes poches. Arrivé chez moi aux alentours de 16h, j'ai commencé tout doucement par un Dicodin et deux ou trois Lexomils avec un café et une clope. Un meilleur goûter, y'a pas. Ma jambe et mon dos me faisaient souffrir et j'étais encore moins dans mon assiette que d'ordinaire. J'ai continué tout doucement jusqu'à l'heure du repas, 18h. Là, me souvenirs s'essoufflent déjà. Je me souviens essayer de couper mon cervelas en tremblant tout en tentant vainement de tenir la conversation avec mes parents. Je redoublais d'efforts pour articuler convenablement, jusqu'à ce que ma mère me dise "Tais-toi on ne comprend rien. Tu n'es qu'un camé." Je n'ai pas souvenir que cette phrase m'ait fait réagir. Je crois que je n'étais pas encore tout à fait raide. Après le repas, j'ai attendu de boire tranquillement mon café, accompagnant chaque gorgée de trois tranquillisants et de deux Dicodin. Première tablette terminée, j'entamais la seconde avec arrogance. Le tube de Lexomil se vidait à vue d'oeil, il devait en rester à peine une dizaine. Il devait être 20h, dans ces environs. Mon père est parti travailler et je n'étais pas encore KO. J'ai tranquillement versé le restant du tube dans ma bouche, et attendu que chaque cachet fonde tranquillement, me laissant la bouche pâteuse et amère. Je suis allé fumer une clope. Sur le balcon, je me souviens encore du froid alors que j'étais en T-SHirt. Je me souviens ne pas parvenir à marcher droit, comme si j'étais au début d'une belle cuite.
Ça commençait à cogner sévère. Je suis allé chercher de quoi me rafraîchir. Muscles qui se détendent complètement, les oreilles qui bourdonnent et débuts d'hallucinations auditives: tous les signes corporels me disant que j'avais déjà trop bouffé de codéine pure. Heureusement que j'avais eu la bonne idée de contre-balancer ses effets par le tube de Lexomil. A forte dose, les effets de la codéine sont comparables à une montée de cocaïne: les idées vont à cent à l'heure, impossible de tenir en place, tremblements. Ajoutez à ça la décontraction musculaire et les hallucinations. D'ailleurs, je sais que je suis déjà allé bien trop loin. Ce n'est plus un choix à faire tant l'évidence apparaît. Alors j'avale la moitié du flacon de somnifère.
Des lumières, des phrases qui s'enchaînent à plusieurs heures d'intervalles. Du monde, du bruit. Je sens vaguement qu'on me tapote la joue en m'appelant. Je préfère me rendormir. "Monsieur, ouvrez les yeux. Restez avec moi s'il-vous-plaît." C'est tellement bon de ne plus se débattre. Se laisser aller. Je ne sais plus si je dors ou si je suis encore éveillé. Etat de conscience inconditionnelle. J'entends une dernière phrase: "Il lâche complètement, on l'emmène." Mouvements autour de moi. J'abandonne et glisse dans le sommeil, tiède, chaleureux. Il n'y a plus à se débattre. Plus rien à contrôler. Plus à souffrir. Strictement plus rien.
"Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
-C'est plutôt moi qui devrais te demander ça?
-Tu ne peux pas être réelle.
-Tu crois vraiment?
-Je ne sais pas."
Elle prend mon visage entre ses mains et on s'embrasse tendrement. Il n'y a pas vraiment de décor, tout paraît translucide, mais plus réel que quoi que ce soit d'autre. Je caresse ses cheveux blonds. Elle me gifle.
"Tu as voulu mourir?
-Je ne sais pas. J'ai peut-être juste merdé.
-Ou tu savais ce que tu faisais?
-Je n'en sais rien. Et d'abord c'est quoi ce bordel, mon inconscient?"
Lumière aveuglante.
"Tout va bien Monsieur. Vous êtes tombé dans le coma pendant quelques heures. Vous avez l'esprit embrumé, c'est normal.
-Foutez-moi la paix."