C'est ainsi que la couverture de Best-seller d'Isabelle Flükiger ici s'orne de la truffe d'un magnifique chienchien, sans le moindre titre, avec juste les mentions de l'auteur et de la maison d'édition, Faim de siècle ici.
Pour être honnête le livre se vend avec un large bandeau rouge, à peine discret, qui recouvre quasiment toute la couverture du livre, avec best-seller écrit dessus.
Le chienchien s'appelle Gabriel, comme l'ange :
"Le bout de ses pattes est brun, comme s'il portait des chaussons, le bout de sa queue pareil, et ce n'est pas du noir mais du brun qui lui cerne l'oeil et lui donne son air coquin".
Sans Gabriel y aurait-il une histoire ? En tout cas "il est à bouffer" ce petit chien blanc tout frétillant et tacheté de brun.
La narratrice nous raconte qu'un quidam a perdu Gabriel et que son ex l'a mis dehors. Nous ne savons pas encore que Gabriel est un gentil chienchien. Mais très vite le quidam disparaît et Gabriel apparaît. Sur son collier il est écrit :
"Je m'appelle Gabriel"
L'énigme est en partie résolue. Gabriel fait alors son intrusion dans la vie de la narratrice.
Elle, est secrétaire dans une institution culturelle étatique, lui, son précieux, son compagnon, est professeur de lettres et de latin. Ils vivent comme tout le monde. Ils travaillent comme tout le monde. Ils s'aiment. Leur avenir est réglé comme du papier à musique. Ils auront bientôt des enfants, comme tout le monde.
Le centre d'art contemporain où elle travaille est un véritable panier de crabes, où on vous aime tant que vous ne faites d'ombre à personne, ou que vous ne nuisez à personne. Elle guigne la place de "Presse et com", qui est "incapable et enceinte jusqu'au menton".
En attendant sa chute elle nourrit sa part de rêve en écrivant son "best-seller", tout en faisant son travail consciencieusement, c'est-à-dire tout en rédigeant des demandes de subvention... Elle voudrait bien ne plus compter parmi les petits, les sans-grades. Elle est un peu midinette "en posant les mots goùtus" de son best-seller dans sa clé USB.
Mathieu, son précieux, est dans son année probatoire. S'il fait ses preuves, il sera définitivement embauché l'année suivante. Seulement il a de la vertu dans un monde où le copinage et le réseautage sont les deux mamelles de la réussite, où pognon et pognes serrées font merveille.
Saïd est un réfugié politique kurde, un requérant d'asile. Il est spécialiste de musique traditionnelle de son pays. Parce qu'il a sauvé la mise de la narratrice, poursuivie par une mégère à cause de Gabriel, il s'installe chez elle et son précieux, et va promener Gabriel, ce qui lui fera rencontrer Anne. Sa présence exaspère le voisin d'en-dessous, Arnold, qui est un raciste dangereux et caricatural.
Cette vie bien rangée de la narratrice et de son précieux, sur fond de crise, qui n'épargne pas la Suisse, va basculer. Il y a de quoi se demander si la présence de Gabriel y est pour quelque chose. Car il semble que chaque intrusion de cet ange canin dans la vie des autres ne soit pas étrangère aux changements qui se produisent dans leur destin.
Isabelle Flükiger écrit des phrases courtes et incisives, proches de la langue parlée, ce qui donne au livre un ton familier et vous invite à partager les préoccupations de la protagoniste et de ceux qui gravitent autour d'elle. Ce style permet aussi de refléter les évolutions rapides de notre époque, où les destins bifurquent très vite.
Peut-être les quelques passages où les petits de la société en veulent aux grands sont-ils un tantinet manichéens, mais ils sont éclipsés par bien d'autres passages, d'une grande chaleur humaine, tels que celui-ci qui met aux prises Mathieu et la narratrice:
"Il embrasse le bout de mon nez puis mes lèvres, à petits coups très doux, de ces petits baisers d'amour qu'on oublie de se faire dans l'habitude de s'aimer."
Ces passages ont le don de vous emporter "loin des petitesses, loin des idées moches" et ne peuvent que faire du bien à ceux qui les lisent.
Francis Richard
Couverture et bandeau réconciliés :