Voilà 7 mots qui peuvent, qui doivent, mériter quelques développements.
On connaît ici ma marotte, à savoir - comme le souligne régulièrement Parker - qu'un vin bon jeune a de belles chances de rester bon, vieux. Et qu'un vin "bof" jeune a moins de chances de devenir "ouf" vieux.
Chacun a également conscience que finalement peu d'amateurs donnent une totale priorité au vieillissement et bien des crus sont bus à une période ingrate de leur vie. Mais comme les vignerons savent aussi cela, quid de leur réaction en cave ? Mettre sur le marché des vins prioritairement sur le plaisir ou jouer sur cette notion de garde finalement pas si évidente que cela ? Et quid de l'apprentissage des goûts si particuliers que peuvent avoir ces vins de plusieurs décennies ? Tant qu'on a pas pris de cours chez François Audouze, on risque bien de passer à côté de la plaque !
N'a t'on pas le simple droit de préférer le fruit, le beau fruit aux divers sous-bois et cuir de Russie ou chevaux bonobiens rentrant à l'écurie ? C'est peu de dire que je partage le point de vue de Nicolas. Bien sûr, ça se discute et on est là pour ça.
Aussi, et avec sa permission, je me permets de mettre ici une analyse de Nicolas Herbin dont le site ICI vaut le voyage. Mettez ce site des deux Nicolas (Herbin et Bon) : ils ne sont pas bavards comme bibi, disent des choses plus sérieuses, et donc c'est tout bénéf pour vos neurones.
Merci Nicolas !
© NICOLAS HERBIN
Le modèle redondant et fatigant du vin de garde… ou comme une invite au vin juste.Voilà près de sept années que je déguste du vin de façon suivie. C'est peu. Et en même temps conséquent, si l'on considère que j'ai la chance de le faire dans un cadre professionnel depuis 2006, donc très régulièrement pour ne pas dire quotidiennement. Parfois même assez intensivement à l'occasion de salons ou virées dans le vignoble. Bref, de façon suffisante pour arriver aujourd'hui à un constat simple, qui me turlupine de façon croissante : nombre de vins proposés aujourd'hui ne sont-ils pas exagérément vinifiés selon le modèle réputé universel du vin de garde ? A force de vouloir à tout prix faire des vins à attendre prétendument longtemps, n'oublie-t-on pas de faire des vins buvables ? A croire que pour être jugé bon voire grand, un vin devrait avoir une destinée de consommation significativement éloignée, pour ne pas dire hypothétique. On peut même s'interroger sur le fait que l'on ait depuis le début des années 2000 créé le néologisme de buvabilité en matière de dégustation : pour parler de la prétendue « plus saine et hygiénique des boissons », c'est vraiment un comble. Un beau symbole - soit dit en passant - de certains excès viticolo-oenologiques modernes, qui font que l'on en est aujourd'hui rendu à créer des qualificatifs spécifiques pour faire passer la normalité pour une quasi exception : un vin buvable, on n'y pensait pas !
J'exagère ? Combien de rouges trop extraits et/ou brutalement élevés pour leur qualité ou nature de raisins ? Combien de bulles et de blancs surprotégés en soufre ? Combien de vins durs, raidis par l'ambition ? Combien de vins inabordables jeunes et bourrés de promesses impossibles à tenir ? Combien de vins faits pour prouver, plus que pour faire plaisir et simplement être bus ? Des tonnes, trop, à mon goût. Pourquoi viser le vin de garde avant de viser le vin bon, qui donne du plaisir jeune, moins jeune et peut-être - mais pas à tout prix - vieux ? Les vrais grands vins ne sont-ils pas bons pratiquement à chaque âge de leur vie ? Est-ce normal que tant de néo-dégustateurs soient pris de complexes lorsqu'ils ne parviennent pas à comprendre, cerner ou simplement apprécier ces mêmes gros vins dans leur jeunesse, préférant se dire qu'il était bien trop tôt pour les ouvrir, que l'on ne peut comprendre leur valeur qu'au bout d'un nombre important d'années, et qu'il est normal qu'ils soient inabordables à cet âge ? Il faut se rendre à l'évidence, tout cela arrive parce que l'on a érigé consciemment ou inconsciemment les exceptions en modèles, pour ne pas dire en normes.
La faute à qui ? A nous tous, ou presque. Et depuis longtemps. Plus sérieusement à nombre de ceux qui font le vin, l'enseignent, le notent, en parlent, le boivent, le vendent, l'écrivent, etc. Et surtout en premier lieu, au complexe du grand vin qui les, qui nous habite, et traverse admirablement le temps. A défaut de se lancer dans de longues réflexions sur la notion et définition du grand vin, disons que l'on sait bien aujourd'hui que certains crus sont devenus des légendes grâce, notamment, à leurs millésimes mythiques. Voir les vieux Premiers Crus Classés et assimilés bordelais référents, les Romanée-Conti de légende, les plus grands Montrachet, les immortels Rayas, Clos Sainte Hune, Dom Pérignon, Barolo Cannubi et autres Monfortino, les Riesling Scharzhof, etc. Que peut-on leur reprocher ? Pas grand chose, et encore moins d'exister. Par contre on peut constater qu'ils ont acquis, grâce à leurs meilleures années, durant les cinquante, cent, deux-cents dernières années un niveau de notoriété et de valeur marchande unique au monde. Rien que cela peut facilement expliquer qu'on ait envie de les imiter ou de s'en approcher, à défaut de pouvoir les égaler. Mais au delà de leurs qualités de terroirs, parfois uniques (qui nous rappellent que l'inégalité est par essence dans la nature et qu'ils sont de ce point de vue là difficiles à copier), au delà du travail et de la force de caractère des hommes et femmes qui les ont dirigés et vinifiés, faut-il aussi rappeler ce que furent les très grandes années du passé - à l'époque où l'œnologie n'était encore parfois qu'un vague champs de recherches - et qui les ont placés là où ils sont.
On peut en effet penser qu'avant les années 90, avec les moyens et dans le contexte de ce temps, pour qu'elle soit qualifiée comme telle, une grande année se voulait peut-être encore plus miraculeuse qu'aujourd'hui dans son déroulement climatologique, donnant souvent un millésime peu abondant mais très mûr, avec des fruits hors du commun. Ce fameux grand millésime permettait de transcender la relative rudesse des vins de l'époque, en moyenne moins hauts en alcool qu'aujourd'hui, davantage basés sur le végétal et l'acidité, car peut-être moins précis et poussés dans les dates de cueillette du fruit, parfois issus de rendements plus élevés et moins bien extraits, vinifiés et élevés. Donc des vins immédiatement moins doux, harmonieux et fins. Des vins moins précis, moins finis, moins réguliers également. Peut-être enfin, des vins davantage à l'image de leurs millésimes, positivement ou négativement, moins qualitativement lissés qu'à l'heure actuelle, où l'on maîtrise et connait mieux un grand nombre de paramètres du vin.
Bref, la grandeur naissait dans un contexte assurément différent des idéaux modernes de la beauté vinique, et se voulait finalement peu comparable à celle recherchée à l'heure actuelle, car trop de choses ont changé : le matériel végétal, les modes de culture (cf. l'impact historique du phylloxera et les changements qui en ont découlé), l'œnologie, la maitrise et connaissance des élevages, notre approche du vin, notre goût, et peut-être même le climat. Pourtant, il semble que dans l'imaginaire œnophile, ce soient encore et toujours ces réussites exceptionnelles - au sens littéral - qui soient recherchées, modélisées et que l'on continue à viser par tous les moyens possibles et imaginables. On sait bien que chaque année ne permet pas de vinifier des vins qui se garderont trente ans et plus. Mais plutôt que d'accepter ce que le millésime donne, on veut trop souvent faire le vin comme s'il provenait toujours d'une année miraculeuse. Cela a-t-il du sens ? Je suis franchement plus tenté de répondre non que oui, bien qu'étant d'un naturel idéaliste en matière de vin.
Ainsi, depuis quelques années, la liste de cuvées incompréhensibles, inapprochables et imbuvables jeunes, et qui le demeurent au bout de trois, cinq, dix, quinze, vingt ans demeure interminable. On a coutume d'entendre « Gardez les, ça va s'ouvrir, il faut être patient, ce sont des vins faits pour la garde ». Oui, on verra… On verra que cela ne sera jamais buvable avec un sincère et évident plaisir, au contraire d'une Grange des Pères, d'un chianti de Montevertine, d'un Kirchberg de Louis Sipp, d'un Chalasses de Ganevat, d'un Forest de Dauvissat, d'un Cannubi de Burlotto, d'un vintage port de Niepoort, d'un grand cru de Rousseau. Qui sont bons - du reste avec lesquels on peut prendre du plaisir - à tout âge ou presque. On pourrait dire la même chose d'un Bourgueil de Pierre Gauthier, d'un Costières de chez Chardon, d'un Chablis De Moor, d'un Saumur de Mélaric, d'un gamay de Christophe Abbet ou d'un simple Etna rosso de Marco de Grazia. Universels eux aussi dans le plaisir qu'ils délivrent, quel que soit le moment. Qu'ont donc tous ces vins cités en commun ? Ils sont justes. Pas forcés. A leur place. En phase avec leurs terroirs, vignerons, millésimes, élaboration, cépages, histoire, région. Ils sont à la fois simples car évidents, riches de sensations et plaisir, quel que soit leur niveau de complexité, noblesse de terroir et prix. Pourquoi ? Parce que les gens qui les ont élaborés aiment sans doute boire du vin, boire leurs vins à tous âges, et qu'ils les font à leur image, sans orgueil déplacé, ne cherchant à copier personne d'autres qu'eux mêmes, et encore moins à survivre via leur crus des dizaines et des dizaines d'années, comme s'ils visaient l'immortalité. Non, ils veulent juste que cela soit bon. Un jour. Au moins une fois.
En guise d'épilogue, j'entendais encore récemment un ami parler de vins de plaisir et vins de garde, sans forcément vouloir les opposer, mais toutefois en voulant les distinguer. J'ai du mal à me dire que les deux soient antithétiques, comme je viens de l'évoquer ci-dessus. Mais je vais finir par me dire qu'il a presque raison, malgré lui. Enfin je ne l'espère pas, en fait.