« Ne lise pas mes principes, qui n’est pas mathématicien »
Léonard de Vinci
Comme tout être humain sain d’esprit, je détestais les mathématiques à l’école. Bien avant que d’avoir entendu parler de la relativité partielle d’Einstein, j’avais bien compris que les minutes étaient beaucoup plus longues dans une salle de classe où l’on se fait torturer le neurone littéraire en un idiome inintelligible par un sadique assermenté que dans n’importe quel autre espace-temps. J’ai toujours eu (et j’ai toujours) une phobie avérée de la symétrie, et je trouvais parfaitement insupportable que deux droites parallèles ne se croisent jamais et ne connaissent qu’une infinie solitude. Fort heureusement, il m’arrive désormais extrêmement rarement qu’un quidam me force à résoudre des équations à deux inconnues, pour me rendre la feuille où j’avais fait un joli crobard pour tromper mon ennui ornée d’un zéro turgescent qui gâchait l’accord chromatique de mon oeuvre.
Puis j’ai compris que le problème n’était pas la discipline mathématique mais l’école, et je me suis ouvert à la beauté de la suite de Fibonacci, de la théorie des nombres, de la géométrie non-commutative et aux mystères des nombres premiers. Avant d’entrer dans le gras du sujet, j’en profite donc pour signaler que la Fondation Cartier de Paris organise une exposition (depuis le 21 octobre jusqu’au 18 mars 2012) intitulée « Mathématiques: un dépaysement soudain ». Le postulat de cette expo est de démontrer le lien étroit qu’entretiennent les arts et les maths, voire même de considérer les maths comme un art. Parmi les invités, on trouve pêle-mêle Patti Smith, l’artiste Hiroshi Sugimoto, les mathématiciens Alain Connes, Jean-Pierre Bourguignon et Misha Gromov, le photographe Raymond Depardon et les réalisateurs David Lynch et Takeshi Kitano (qui a lui même exposé à la fondation Cartier à l’été 2010 et montré son goût pour la chose scientifique). Allez-y, vous en reviendrez plus intelligent, plus beau, et vous pourrez toujours vous amuser à relire mes anciens articles où je glisse moultes blagues mathématiques et contrepets sans que personne n’y trouve à redire, indolents lecteurs qui aimez qu’on vous envoie dans la culture.
Les premiers prestigieux matheux du monde occidental nous viennent de la Grèce antique, et à la base de leur envie de compter il y a la philosophie. Deux conceptions du monde s’opposent déjà: l’école platonicienne, qui non contente d’avoir semé les graines de la pensée du renoncement reprise plus tard par le monothéisme voit aussi les nombres comme de petits agents divins, et l’école dite non-platonicienne qui voit les nombres comme des outils permettant d’expliquer le monde. En effet, tout peut s’expliquer et se quantifier à l’aide d’équations: le climat, la musique, la littérature, la disposition des pétales d’une fleur, les proportions idéales d’un édifice selon le fameux « nombre d’or » chers aux classiques, les polyèdres présents sur tous les minéraux. C’est Euclide, dans son « best-seller » Les Elements, qui a fourni l’essentiel des outils mathématiques qui permettront des avancées fulgurantes dans l’architecture, l’astronomie, les sciences et l’art (voir par exemple l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, tout entier inséré dans les proportions du nombre d’or). Ce qui rapproche les maths de l’art, c’est l’intuition qui préside à la découverte de nouveaux axiomes. Ces intuitions, quand elles ne peuvent être prouvées dans le court intermède d’une vie, se nomment conjectures. Certaines prennent des siècles à être démontrées (comme la célèbre conjecture de Fermat, ou de Goldbach), résonnant comme une insoluble énigme ludique. Quand enfin on vient à bout de l’un de ces mystères, un champ de recherche infini s’ouvre en même temps que l’univers rétrécit un peu.
Quand les outils scientifiques se sont modernisés, la géométrie euclidienne ne suffisait plus à quantifier l’infiniment petit et l’infiniment grand. Les astrophysiciens, notamment, ont développé des nouveaux instruments où enfin les droites parallèles pouvaient se croiser, la somme des angles d’un triangle faire plus de 180 degrés, et un point être libéré du joug de l’abscisse et de l’ordonnée pour être assigné à un groupe de probabilités et se mouvoir à son aise. Les mathématiques sont devenues contre-intuitives, le théorème et l’axiome se sont assouplis, et la formule par coeur n’a plus lieu d’être, les dimensions ne sont plus trois mais douze; on peut arrêter de gâcher de l’eau en remplissant des baignoires et cesser de calculer le temps que mettra un train pour aller de Roubaix à Dijon en sachant que de toute façon il sera en retard. C’est ainsi qu’on a récemment fait tomber le dogme einsteinien de la vitesse de la lumière, à cause d’un petit neutrino qui a piqué de l’énergie à ses grands frères proton et électron pour rompre la symétrie du noyau atomique et créer un big bang. C’est ainsi qu’on peut estimer à grands traits les limites de l’univers, qu’on peut connaître son histoire, et courber l’espace-temps à l’aide de la théorie des ensembles et de la topologie. C’est également ainsi que la théorie des cordes tente de réconcilier la mécanique quantique et la théorie de la relativité générale dans une grande théorie du Tout à coup de gravotons, de bosons, de spins, et de tout petits quarks. Ainsi, les mathématiques présentent l’avantage d’agrandir le réel dans des proportions infinies tout en restreignant considérablement le territoire des illuminés qui se réfugient derrière une divinité quelconque quand ils ont la flemme de se tortiller l’ignorance. Si ça n’est pas de l’art, ça y ressemble.
Dans un prochain épisode, nous nous étonnerons que rien n’ait encore réussi à nous réconcilier avec le sport après l’école.
Tout sur l’expo « Mathématiques: un dépaysement soudain ici: http://fondation.cartier.com/