Cher Vincent: expérience ambivalente aux Bouffes du Nord

Publié le 20 décembre 2011 par Ananim

J’ai pas mal hésité avant de vous écrire. Après tout, vous l’avez ditvous-même, vous ne répondez jamais aux trucs “comme ça”. Et puis, j’ai réaliséque je n’attendais pas vraiment de réponse. C’est plus des choses que j’auraisvoulu vous dire. Mais encore une fois, devant vous, j’ai perdu mes mots.
J’appréhendais un peu, avant de prendre le train pour venir voir votrespectacle. J’avais certainement un peu peur de ne pas retrouver votre manière délicatede pointer du doigt les habitudes et les passions collectives pour faire sourirevotre public. Vous avez certainement vous aussi déjà connu ce sentiment, quandvous suivez avec autant d’attention un artiste et qu’il change un petit peu devoie, vous vous demandez si vous retrouverez ce que vous avez toujours appréciédans ses spectacles. Ce qui vous a souvent ému.Déçue je ne l’ai pas été à proprement parler. J’aimême assez aimé ce collage fantaisiste des petites choses qui ont marqué lesépoques : de la balade anachronique de Simon dans les vestiges de la mémoirecollective et sélective,  au montagebigarré de ces images en noir et blanc que l’on devine troquées pour quelqueseuros dans les brocantes des week-ends pluvieux.J’ai aimé les rires enregistrés qui faisaient échoaux noms des villes qui n’étaient pas Paris, les chorégraphies folles, laprojection sur le rideau cabossé de la grâce de jeunes filles un peu timides etces images bancales de soirées familiales où l’on dansait pour célébrer. Non,je me suis bien plu entre les murs du Bouffes du Nord dont vous avez astucieusementexploité l’espace scénique. A la manière d’un grand comédien, certainement.Mais voilà, si je vous écris ce soir, c’est parcequ’entre les mailles de ce patchwork temporel, je suis tombée sur un défaut, unpoint de trop peut-être. Quand vous avez évoqué “l’attentat de la rue desRosiers”, j’ai bien compris que vous pensiez qu’il s’agissait là d’unbouleversement dans une France jusque là “assez préservée” et que vous pensiezqu’en cela, il était assez « symptomatique » d’une époque où l’on qualifiaitde “violent” les jeux d’arcade où on tirait sur des avions. J’ai également apprécié ledécalage que vous avez voulu mettre en relief avec le monde d’aujourd’hui où lesvieilles disquettes de jeux en deux dimensions paraissent presque touchantes.Mais ce que je n’ai plus compris c’est le fondimagé qui accompagnait la chanson: ces mêmes avions de guerre, aussi obsolètessoient-il et cette évocation incongrue avec “la bande de Gaza” – je n’ai pas vraimentretenu les paroles, je le regrette - mais il s’agissait, il me semble,de l’association singulièredes mots« plages » et« tirs » (?).Alors oui bien sûr, vous grossissez les traitsd’une époque pour faire appel, dans la mémoire de vos spectateurs, au décalageavec les jours d’aujourd’hui et en montrer parfois l’absurdité. Vous riez desmodes qui déchainent les passions avant de s’évanouir dans le quotidien. Vous souriezde la perception que le passé a eu du futur.Mais pourquoi lier cet attentat dont on ne peutfranchement pas rire – chez votre amie qui y avait perdu son oncle, il y avaitune boîte avec les articles sur l’attentat qui évoquait le traumatisme et c’estprofondément triste – à ces avions de guerre qui défilent en noir et blancaussi peu réalistes soient leurs contours et à la« bande de Gaza ». J’aurais certainement apprécié un peu plus deretenue sur ce sujet sur lequel vous ne donnez finalement pas vraiment d’avismais que vous avez pourtant franchement choisi d’évoquer et de chanter. C’estsoit un peu trop, soit pas assez. Symptomatique d’une époque peut-être. Gaza,un point lointain sur une carte, certainement. Mais le lien entre les deuxn’est pas clair et quand vous choisissez de les associer dans une chanson, celane tient certainement pas du hasard, vous pesez toujours exactement vos mots.Je connais assez bien vos chansons pour le savoir.Si vous êtes un chanteur engagé soyez-lefranchement, libre à votre public de vous suivre. Ou pas. Mais cette prise deposition tiède sur des sujets qui remuent m’a contrariée. J’ai vécu plusieursannées en Israël, ma sensibilité est certainement différente de celle de votrepublic qui est pourtant déjà hétéroclite. Vous comprendrez donc mon exigencequand j’entends parler de ces endroits que j’ai moi, connus de très près.Alors voilà, aujourd’hui, les critiques culturelsfrançais vous encensent avec des jolis mots et des phrases absconses aussi –Libé restera toujours Libé – mais nous, on vous a aimé depuis le début, depuisvotre Paris fantasmé en passant par votre jolie analyse théâtrale des momentsprécieux qui suivent la rencontre ou les ambiances cinématographiques souvententremêlées à vos chansons, alors je me suis permise, aujourd’hui, de vousécrire ma contrariété avec mes armes à moi – la nuit m’a porté conseil et puisje suis plus à l’aise pour agencer les mots avec un clavier que devant vous àla sortie d’un théâtre. J’espère qu’à défaut de répondre, vous saurez au moinsl’entendre.Bonne continuation et à bientôt, certainement.
Memory de Vincent Delerm : Du 6 décembre 2011 au 30 décembre 2011au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris puis en tournée un peu partout.