Un monde sans État-providence est-il pensable? Que deviendraient les laissés-pour-compte?
Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec
Sur le blog de Papiptibi:
Votre sœur met au monde un enfant atteint de paralysie cérébrale. Deux ans plus tard, les deux parents décèdent. Vous exigeriez de cet enfant (qui vit et vivra dans un état semi-végétatif) qu’il fasse sa part dans la production de biens et services, pour avoir le droit d’espérer que l’État prenne soin de lui? (…) Vous choisissez le beurre, ou l’argent du beurre? Le désengagement de l’État, ou l’engagement forcé (sur les plans financier et humain) du citoyen envers un tiers (son neveu, dans l’exemple ci-dessus), au moyen d’une législation coercitive? (…) Kossé kon fait avec ces épaves-là? On les krisse à la poubelle? On les passe dans le blender? On en tire de la viande pour la saison des barbecues?
Et selon Darwin , un blogueur gauchiste:
L’exemple que vous donnez (un enfant atteint de paralysie cérébrale) est un classique pour désarçonner les libertariens. En général, ils éludent cet argument, car leur réponse les amènent inévitablement à appuyer une forme d’eugénisme ou de darwinisme social. (…) Les libertariens, y compris les minarchistes, répondent toujours que les personnes qui ne peuvent satisfaire elles-mêmes à leurs besoins n’ont qu’à se reposer sur leurs proches et que cela favorise la charité volontaire et la collaboration. Sauf que bien des gens, et de plus en plus, n’ont pas de proches !
Que fait-on d’eux ? On compte sur une bien aléatoire charité qui sera toujours plus généreuse envers ses proches. Et les autres ? On les laisse crever ? Dans ce sens, la comparaison que je fais avec l’eugénisme ou le darwinisme social est loin d’être une exagération…
N’ayant pas de réponse claire et nette à ce sujet autre que l’eugénisme (objectif qu’ils n’avoueront jamais, ou très rarement), ils cessent le débat ou le dévie sur d’autres questions (…)
Évidemment, il y a beaucoup de faussetés dans ces commentaires. La solution libertarienne à cette problématique n’est pas eugénique et ne consiste pas non plus à imposer le fardeau de ces gens à leur famille. Encore une fois, les gauchistes ne connaissent rien de la philosophie libertarienne.
Tout d’abord, il y a une chose à mettre au clair : si un parti libertarien prenait le pouvoir demain matin au Québec ou au Canada, il ne serait absolument pas une priorité pour lui de couper l’aide aux individus incapables de subvenir à leurs besoins eux-mêmes. Cette forme de soutien étatique n’est pas une cause significative des problèmes de société auquel nous faisons face présentement, incluant un déficit fiscal aberrant et un endettement à faire pleurer. En fait, il est fort possible qu’un tel parti ne s’y attaquerait jamais, même si le libertariannisme pur-et-dur rejette cette forme d’aide. Autrement dit, il y a bien d’autres problèmes à s’occuper avant de considérer de couper l’aide aux plus démunis. D’ailleurs, si mes impôts ne servaient qu’à aider directement ces gens, je n’aurais pas à tenir ce blog…
Ceci étant dit, prenons comme hypothèse que demain matin, tous les nouveaux cas de trisomie, de paralysie cérébrale, ou de toute autre forme d’invalidité, ne feront plus l’objet d’aucun soutien gouvernemental. Qu’est-ce qui arriverait dans une économie basée sur le libre-marché?
La plupart des gens s’inscriraient à des régimes d’assurance couvrant ces formes d’invalidité. Il existe déjà des assurances-maladies graves, des assurances-soins longue durée. Il pourrait bien y avoir une assurance pour ces autres conditions. Vous attendez un enfant et voulez vous protéger contre le risque qu’il soit trisomique ou paralysé cérébral? Pas de problème, vous n’avez qu’à souscrire une police d’assurance couvrant ce risque. Ainsi, vous payez une prime mensuelle et en échange, on subviendra aux besoins essentiels de votre enfant jusqu’à sa mort s’il s’avère qu’il est trisomique. Évidemment, certaines personnes n’auraient pas les moyens de payer de telles assurances. C’est là que la charité pourrait entrer en ligne de compte ou encore des sociétés d’aide mutuelle.
Avant que l’État-providence ne prenne tant d’ampleur aux États-Unis (suite à la Grande Dépression et au New Deal), les américains les plus démunis comptaient sur les sociétés d’aide mutuelle (mutual-aid societies) à cet égard. Celles-ci sont méconnues de nos jours car elles n’ont plus l’importance qu’elles avaient, ayant été évincées par l’État.
Ces organisations récoltaient des cotisations et payaient des indemnités à leurs membres en cas de besoin. À New York, en 1909, 40% des familles gagnant moins de $1.000 par année étaient membres de ces sociétés. Celles-ci comptaient notamment beaucoup de nouveaux immigrants parmi leurs membres. Les services offerts par ces sociétés incluaient l’assurance-chômage, l’assurance-vie, des hôpitaux et des orphelinats, mais il n’y avait pas de définition précise.
Suite aux années 1920, ces sociétés d’aide mutuelle ont connu un déclin graduel. Premièrement, lorsque l’American Medical Association a pris le contrôle de la profession de médecin, elle s’est vite chargée d’éliminer la concurrence que représentaient les sociétés d’aide mutuelle en rendant leurs hôpitaux non-conformes sous des prétextes souvent futiles et ridicules. Puis, l’avènement de Medicare a eu comme impact d’annihiler ces organisations. Deux d’entre elles ont survécu sous forme d’entreprises privées, soit Prudential et Metropolitan Life, qui sont de nos jours des entreprises d’assurance d’envergure mondiale, mais la plupart ont disparu.
Y aurait-il suffisamment de dons de charité pour prendre en charge tous ceux qui en ont besoin? Évidemment, il ne faut pas oublier que dans une société libertarienne, il n’y aurait à peu près pas d’impôts. Donc, les contribuables auraient beaucoup plus de revenus disponibles et seraient plus en mesure d’augmenter leurs dons de charité sachant que l’État-providence n’existe plus. Et en payant moins d’impôts, certaines personnes pourraient décider de travailler moins pour s’occuper d’un proche en détresse, sans nuire à leur niveau de vie.
En somme, pour répondre à « Papitibi », disons que votre sœur apprend qu’elle est enceinte, mais qu’à la naissance on réalise que l’enfant a la paralysie cérébrale. Supposons que celle-ci avait souscrit à une assurance la protégeant contre ce risque, son assureur lui versera une indemnité pour le reste des jours de l’enfant, donc au décès des parents, l’enfant ne sera pas un fardeau pour vous et les autres membres de votre famille. Supposons par contre que votre sœur n’avait pas les moyens pour une telle assurance, mais qu’elle faisait partie d’une société d’aide mutuelle à laquelle elle contribuait une petite portion de son salaire, si maigre soit-il, cette société s’assurera de veiller à ce que l’enfant soit traité dignement dans un de ses établissements commandités par une corporation voulant améliorer son image (présentement celles-ci gaspillent des milliards pour se donner une image « verte », ces sommes pourraient être détournée vers quelque chose de plus utile…) ou par des dons de charité d’individus appréciant vivre dans une société libre et ordonnée.
En fait, ce que les gauchistes négligent de considérer est que les soins et services prodigués aux démunis ne sont pas gratuits. Ils sont financés par une assurance publique payée par les contribuables. Or, cette assurance pourrait très bien être privée et financée par les assurés eux-mêmes, comme n’importe quelle autre assurance. La charité ne sert alors qu’à aider ceux qui ne peuvent assumer les coûts de cette assurance.
Désarçonné? Moi? Pas du tout!
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