Magazine Beaux Arts

Femmes albanaises, photographiées

Publié le 28 décembre 2011 par Marc Lenot
Femmes albanaises, photographiées

Pjetër Marubi, jeune femme musulmane, 1884

Que sais-je de l’Albanie ? Une fois cité Ismaël Kadaré, le roi Zog, Enver Hodja et Mère Teresa, fort peu de choses, à ma grande honte, et j’ai quelque mal à me souvenir des dates clefs de l’histoire du pays. Que sais-je de la photographie albanaise ? Je peux citer Ornela Vorpsi, qui vit à Paris, photographie et écrit –fort bien mais en italien ou en français -, et sinon rien. L’exposition à la MEP (jusqu’au 8 janvier) a déjà l’avantage de combler quelque peu cette lacune sur un plan historique, en s’attachant en particulier à la dynastie des Marubi. Mais je ne vais pas vous faire ici un cours d’histoire, allez voir.

Dans cet ensemble, ce qui m’a frappé – sans doute à cause de mes préjugés initiaux -, c’est la diversité des représentations de la femme dans ces photographies de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. En voici quatre exemples, tous réunis dans la première salle de l’exposition.

Femmes albanaises, photographiées

Kel Marubi, femme catholique de Shkodra, 1890 à 1910

La jeune femme en haut, à la chevelure dénouée et sensuelle, au visage ouvert et attrayant, à la pose affirmée, au minois séducteur, est une musulmane de 1884 (photographie de Pjetër Marubi, le fondateur de la dynastie, Italien en exil au pays des aigles).

Cette femme-ci (à droite) enveloppée dans ses voiles, cachant son visage et son corps, ne laissant nulle prise à l’imagination, au désir, à la séduction est, elle, une femme catholique de Shkodra, photographiée vers 1890-1900 par Kel Marubi, le fils adoptif (une autre, plus loin, de Kolë Idroméno, vers 1900, est entièrement cachée dans une burqa de tissus à rayures) . Voilà déjà quelques idées reçues qu’on bouscule sans ménagements, quelques questions qu’on commence à se poser sur la religion et les pulsions.

Femmes albanaises, photographiées

Kel Marubi, Azem et Shote Gallica, insurgés du Kosovo, 1920

Sur cette photographie d’insurgés du Kosovo en 1920 (toujours par Kel Marubi), l’homme est assis, la femme debout, dans un geste presque protecteur envers son conjoint. Armée jusqu’aux dents, rien ne distingue Shote Galica de son mari Azem, sinon l’absence de moustache et une relative douceur des traits ; son corps, sa féminité sont gommés et ne pourraient se deviner que dans son regard, et encore : une passionaria contre les Serbes et les Ottomans, elle se jettera dans le vide dans un suicide quasi rituel quand son mari sera tué au combat. Mœurs barbares, récits épiques, histoire médiévale ?

Femmes albanaises, photographiées

Gegë Marubi, Femme du photographe, c1940

Et, par antithèse à ces guerriers à nos yeux sauvages, voici une beauté hollywoodienne retouchée Harcourt : manteau et chapeau presque masculins, mais un visage baigné de lumière, une sensualité exacerbée, mais apprivoisée, codée, occidentalisée. Le contraste avec la précédente est radical. Ce superbe portrait est celui, en 1940, de l’épouse de Gegë Marubi, le troisième de la lignée. Il ne faut certes pas limiter la photographie et l’histoire albanaise à ces histoires de femmes, mais dans ce pays qui se construisit dans les luttes, uni par une langue, divisé entre trois religions, cette diversité des féminités, entre ces quatre extrêmes, m’a paru être un signe étonnant, sinon révélateur.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Marc Lenot 482 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte