C’est cette même femme, attachée de conservation qui, dès mars 1941, jouera un rôle capital en s’improvisant espionne dans cet établissement voisin du Louvre devenu, à l’initiative de l’occupant nazi, la plaque tournante d’un ahurissant trafic d’œuvres d’art, pour la plupart confisquées à des collectionneurs et des galeristes juifs et francs-maçons. J’avais évoqué la belle figure de Rose Valland en janvier 2010, dans le compte rendu de l’exposition qui lui avait été consacrée au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon (que l’on pourra consulter en cliquant ici). Et ce sont aujourd’hui ses notes précieuses, patiemment rédigées, non sans risques comme on l’imagine, qui viennent d’être publiées sous le titre Les Carnets de Rose Valland (Fage éditions, 142 pages, 24 €).
Emmanuelle Polack, historienne qui fut commissaire de l’exposition précitée et Philippe Dagen, professeur d’histoire de l’art contemporain et critique d’art au Monde, se sont chargés de rédiger l’intéressante introduction de ce recueil, qui replace l’action de cette fonctionnaire exceptionnelle dans son contexte historique ; ils sont aussi les auteurs du remarquable appareil critique et documentaire qui complète le volume.
Les rapports et les notes que Rose Valland adressa au directeur des Musées nationaux Jacques Jaujard – 172 feuillets inédits – sont importants à plus d’un titre. Ils témoignent d’abord de l’institutionnalisation, via un organisme directement rattaché à Adolf Hitler, l’Einsatzstab Reichleiter Rosenberg für die bestzten Gebeite (E.R.R.), du pillage des œuvres d’art dans les pays occupés, notamment en France et dans le Benelux. Ils dressent ensuite des listes, hélas non exhaustives, d’œuvres spoliées, souvent identifiées. Ils indiquent en outre leurs destinations outre-Rhin, une démarche qui facilitera grandement, après la guerre, la récupération d’une partie d’entre elles.
Patiemment, discrètement, écoutant aux portes, fouillant les poubelles, Rose Valland consignait tous les détails qu’elle jugeait utiles, conversations, bruits de couloir, circulaires, incidents, actes de vandalisme. Elle croquait aussi sur le vif, et non sans ironie, le portrait des responsables nazis, de leurs visiteurs; elle notait des adresses, faisait part, tour à tour, de ses espoirs, de ses indignations. Autant d’informations factuelles et précises qui renseignent les historiens de l’art sur les spoliations perpétrées durant toute l’occupation et témoignent de la qualité des services que cette héroïne de l’ombre, tenace, peu commode et surtout trop vite oubliée, rendit à son pays. Les Carnets de Rose Valland constituent le complément indispensable au livre de mémoires qu’elle publia en 1961, Le Front de l’art (Plon) qui fut réédité en 1997 par la Réunion des musées nationaux, mais demeure aujourd’hui malheureusement épuisé.
Illustration : Rose Valland, musée du Jeu de Paume, 1934, photo D.R..