J’aime les vieux livres.
Il y a les vieilles éditions en cuir patiné par les ans qui vous habillent une bibliothèque de leur élégance surannée. Plaisir des yeux, cette litanie d’ouvrages vénérables qui s’étalent le long d’étagères de bois noble, plaisir du toucher aussi, ces livres qu’on manie avec tendresse et respect en raison de leur âge mais qui sont souvent réservés aux bibliophiles dont je ne fais pas partie.
J’aime les vieux livres, mais mes goûts sont plus modestes. Entre un bouquin en édition de poche acheté neuf dans une librairie et le même exactement, trouvé dans une brocante, je préfère le second. Le papier jauni des pages, son grain vieilli par le temps et les intempéries, la couverture usée et cassée par l’usage, l’odeur moisie de cette vieillesse, ce livre là est comme un oiseau blessé qu’on recueille et qu’on va s’acharner à faire vivre. Récupéré dans une antichambre du pilon, lui consacrer du temps de lecture puis le ranger dans sa bibliothèque au milieu des siens, c’est lui offrir une nouvelle chance.
Parfois cet abandonné vous réserve une jolie surprise, comme le crapaud qu’un baiser transforme en princesse, le livre recèle un trésor. Sur la page de garde, une dédicace qui ne nous est pas destinée raconte en quelques mots, « Pour Sylvie, de la part de Christian qui l’aime ». Cet objet a été le témoin d’une belle histoire, peut-être terminée aujourd’hui et qui ne subsiste que par cette trace stylobillée. Moins intime, cette même page peut conserver la trace du tampon d’une bibliothèque municipale ou d’un comité d’entreprise d’une ville de province lointaine et l’on s’étonne que le livre puisse être arrivé jusqu’à nous par on ne sait quels chemins obscurs.
La lecture offre d’autres découvertes, des passages soulignés, parfois un mot seul, et on cherche à comprendre pourquoi ce surlignage, comment a été interprété ce passage par un précédent lecteur pour qu’il soit incité à le marquer pour l’éternité. La vraie pépite, c’est la note manuscrite en marge, déchiffrer le gribouillis et s’en régaler à l’égal d’un Champollion ou bien encore mais c’est beaucoup plus rare, trouver glissé entre les pages, un bout de papier, un ticket de métro ou autre. Ah ! La belle prise qui rehausse la valeur de votre achat.
Sinon, on s’appliquera à restaurer l’ouvrage usé, les coins de pages pliés pour signets seront rétablis, les pages froissées aplaties du mieux qu’il sera possible, pour que le vieux livre retrouve non pas sa jeunesse, mais une allure convenable et ne fasse pas tache au cœur de votre bibliothèque. Objets inanimés avez-vous donc une âme ? Pour les livres la question ne se pose pas, la réponse est évidente.