Mais que se passe-t-il à Hollywood ? L’usine à rêves qui oublie trop souvent l’art au profit du dollar semble avoir un caillot coincé dans le ciboulot qui l’empêche de penser et agir comme elle en a l’habitude. Pensez donc. Quels sont les deux films qui attirent le plus l’attention en cette fin d’année dans les couloirs de Tinseltown, à côté d’un Mission Impossible : protocole fantôme qui surprend son monde en s’affirmant comme le succès du box-office de Noël ? Deux films qui s’avèrent des aimants à nominations et récompenses et qui se font flatter aux quatre coins du pays… Deux films qui ont pour point commun de porter aux nues l’héritage cinématographique et de remettre les années 20 et 30 à la mode : The Artist et Hugo Cabret.
Le succès du premier est une aberration magnifique. Un film muet en noir et blanc d’origine française prenant pour cadre le Hollywood des années 20, tourné à la manière d’un film de l’époque. Avec pour star Jean Dujardin et Bérénice Bejo, deux comédiens hexagonaux dont les américains doivent avoir le plus grand mal à prononcer le nom (ne parlons même pas de celui du réalisateur Michel Hazanavicius). The Artist aurait pu n’être qu’un film de niche avec de jolies critiques qui auraient fait parler de lui quelques semaines et auraient ensuite été noyées dans la saison des Oscars sous les machines américaines à attirer les prix, les films de Steven Spielberg, Stephen Daldry, David Fincher ou Alexander Payne.
Mais la noyade médiatique n’a pas eu lieu. C’est l’inverse qui s’est produit. Si les films américains ont squatté de plus hautes places au box-office (quoique pour la plupart des places décevantes), l’attention d’Hollywood n’a jamais quitté The Artist depuis sa sortie en novembre. Harvey Weinstein, qui distribue le film aux États-Unis via The Weinstein Company, s’est assuré de faire du film d’Hazanavicius l’un des évènements de l’automne et un sérieux candidat aux Oscars. Et plus les semaines passent, plus ce statut s’affirme, le film engrangeant de semaine en semaine plus de prix et de nominations, récompenses des critiques, Golden Globes, Independent Spirit Awards, Screen Actor’s Guild et j’en passe.
Le film français muet en noir et blanc, qu’Hollywood aurait en temps normal balayé d’une pichenette, est devenu le chouchou de la communauté cinéphile et professionnelle du 7ème Art américain. Et si pour le moment sa présence dans les charts américain reste modeste, si les distinctions continuent à affluer, il y a des fortes chances que le film d’Hazanavicius entre dans le cercle fermé des films français ayant réussi à s’affranchir du carcan dans lequel les films étrangers sont presque toujours enfermés au box-office américain. Le succès américain du film pourrait même rejaillir sur la carrière du film en France, où le film ressortirait très certainement en salles si d’aventure les nominations aux Oscars pleuvaient sur The Artist dans quelques semaines, pour s’ajouter aux 1,5 millions de spectateurs déjà séduits de ce côté-ci de l’Atlantique.
Ce qui est étrange, c’est que l’un des plus sérieux candidats aux mêmes récompenses aux États-Unis est un film qui comme The Artist semble parfaitement anachronique à l’heure Hollywoodienne. Hugo Cabret de Martin Scorsese. Le cinéaste new-yorkais est un habitué, ces dernières années, des récompenses et de la course aux Oscars, et même de flirts très prononcés avec les cimes du box-office, alors trouver le titre de son dernier film parmi les longs-métrages les plus appréciés de l’année au Pays de l’Oncle Sam n’est pas si étonnant que cela. Ce qui l’est en revanche, c’est de découvrir le film qu’a concocté Scorsese : alors que l’on nous annonçait un grand film populaire de Noël, Hugo Cabret s’avère être un film très personnel aux allures d’hommage au cinéma et à ses racines. Un grand film cinéphile qui déclare l’amour de Scorsese pour le patrimoine cinématographique et la nécessité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le préserver.
Assurément le film en déconcertera plus d’un. Et penser qu’un studio hollywoodien, en l’occurrence Paramount Pictures, a pu offrir à Martin Scorsese 170 millions de dollars sur un plateau d’argent pour qu’il réalise un film sur l’importance de la conservation des films est proprement hallucinant. Car plus qu’un film populaire de Noël, c’est bien là ce qu’est Hugo Cabret, une déclaration d’amour au vieux cinéma trop vite oublié, et à ceux (ou en l’occurrence, celui, Georges Méliès) qui les premiers ont œuvré pour faire de cet art le plus populaire du siècle dernier. Soit Scorsese les a bien berné sur ses intentions, soit Paramount est le studio Hollywoodien le plus couillu et ambitieux qui soit (serait-ce un peu des deux ?). Si les responsables du studio ont un jour cru qu’ils tiendraient là un grand succès et qu’ils reverraient la couleur de leur argent, ils ont été bien naïfs. Mais cela fait du bien de savoir qu’il est encore possible de passer entre les mailles du filet, et qu’un beau film comme Hugo Cabret puisse exister (même si une fois de plus, je me serais bien passer de la 3D - étonnamment mal adaptée au film, n’est pas Spielberg qui veut finalement).
Et voici donc qu’Hugo Cabret et The Artist, ces deux films hautement improbables, déchaînent les passions de l’usine à rêves. A l’heure des suites à foison et des adaptations de comic book par dizaines, un peu de fraîcheur fait un bien fou, aussi vieux jeu soit-elle, même si c’est plus pour amasser des récompenses que pour attirer les foules. Après tout, qui sait ce que sera le véritable potentiel de tels films, une fois que les plus prestigieuses récompenses leur seront décernées ?