« Il (Minos) représentait l’art, la paix, le travail, la joie, le bien-être. La joie ! C’est cette qualité qu’exhale Cnossos, en dépit de ses tristes ruines. Et aujourd’hui encore, sur les visages des Crétois resplendit une lumière que je n’ai vue nulle part ailleurs en Grèce pour le moment. Leur regard est plein, brillant, sans peur ni malice. Ils n’ont pas l’âme mesquine. Ils vous observent par-dessous leur turban noir, comme devaient le faire les païens de l’Antiquité. Les souffrances et les privations endurées au cours des siècles n’ont pas assombri ces yeux clairs et honnêtes. «
Henry Miller, Premiers regards sur la Grèce
Voilà, Noël est passé, et nous filons vers une nouvelle année qu’on espère moins digne que 2011 de l’appelation d’origine contrôlée « annus horribilis » chère à Mme Windsor de Londres, qui l’utilise quand son fils tombe amoureux d’une rombière ou quand sa bru tombe amoureuse du zouave du pont de l’Alma. Papa Noël a remisé son costume rouge et sa fausse barbe pour reprendre son bleu d’ouvrier de l’usine Coca-Cola d’Atlanta, les rennes (rangifer tarandus) qui ont si peu évolué depuis le paléolithique vont regagner la chaîne alimentaire du Lapon qui préfère qu’on l’appelle Sami et qui n’en peut plus du saumon aux airelles, et les commerçants vont pouvoir recommencer à se lamenter sur les soldes qui ne rapportent plus comme avant ma bonne dame, c’est la faute des charges et des 35 heures.
Car l’esprit des fêtes vit ce que vit la bulle de champagne du réveillon: pendant que Sarkozy fait semblant de jouer au président intransigeant sur les droits de l’Homme et de se fâcher avec les Turcs en sachant très bien que la loi de ses copains ne survivra pas aux vacances parlementaires, la « crise de la dette » a fait une petite sieste et elle s’est réveillé de méchante humeur. A peine la peau de nos ventres repus par les excès du weekend commence t-elle à se détendre que le taux de chômage en profite pour entrer en crue et que les Restos du Coeur déplorent un besoin urgentissime de cinq millions d’euros pour boucler leur fin d’hiver, qui je vous le rappelle n’a commencé que le 22. Sans compter que l’aide alimentaire européenne aux plus démunis n’a plus que deux ans à (sur)vivre. Qu’augurer pour l’année 2012, qui risque d’être plus riche en vaines promesses électorales qu’en bûche pâtissière? Nul besoin d’être Tirésias de Thèbes pour voir l’avenir, mais sa nationalité est déjà un indice.
En effet, Noël est passé mais en Grèce ça sent toujours méchamment le sapin. Etymologiquons un peu pendant qu’on en a encore le loisir et le ventre plein. En grec ancien, le pharmakos désigne un rite de purification dans lequel une victime expiatoire porteuse de tous les maux de la cité, en était expulsée (ce que les chrétiens qui détestent les animaux ont nommé le bouc émissaire). Ce terme est à l’origine de tout le champ lexical de la pharmacie, le médicament jouant désormais ce rôle d’ »absorbeur » de la maladie. Malheureusement, quand la zone euro tomba malade, elle n’eut pas l’heur d’avoir Esculape, Hippocrate ou un Galien à son chevet, et les docteurs Merkel et Sarkozy, en bons médecins malgré eux, ne connaissaient que la saignée comme seul remède à tous les maux. Et la purge fut violente: on dut même enlever un Papandreou et de gros morceaux de démocratie de l’organisme du patient grec, à tel point que l’anémie risque d’entraîner des séquelles irréparables, alors même que les banques suisses renferment plus de 30 milliards d’actifs hélléniques. Le remède le plus indiqué aurait sans doute été le don de sang (comprenez d’euros) couplé à un contrôle plus strict de l’évasion fiscale et de la corruption, mais Nicolas et Angela Diafoirus n’ont sans doute pas feuilleté le Vidal assez longtemps pour le comprendre, et encore moins pour s’appliquer la pilule à eux même. Le patient grec tousse, Merkozy diagnostique un rhume, alors que c’est la tuberculose qui colonise les poumons. Et la tuberculose, c’est très contagieux, ami(e)s européen(ne)s.
On a donc sciemment ruiné la Grèce pour sauver l’euro, c’est à dire les exportations allemandes et le triple A français. Or on l’a déjà dit, l’économie grecque est très peu exportatrice et vit principalement du tourisme et du secteur tertiaire: une devise aussi forte que l’euro la contraint donc soit à s’endetter et à vivre aux crochets de l’Union Européenne, soit à étrangler sa population. Et les plans d’ajustement succèdant à la pingrerie du FMI, Thanatos piétine Eros avec une allégresse peu commune. Les services publics grecs sont totalement hors d’usage, à telle enseigne que même les pompes funèbres ne fonctionnent plus correctement et qu’on commence à enterrer les défunts dans son jardin comme les huguenots au Moyen-Age. Une catastrophe sanitaire, genre une résurgence de la peste ou du choléra, suffirait-elle à éveiller la moindre conscience quelque part en Europe? Ou le coût du travail moins élevé chez les voisins des Balkans est-il un cordon sanitaire suffisant pour Standard & Poor’s? Par ailleurs, les prix des produits alimentaires ont explosé. Le livre le plus vendu dans les librairies actuellement est un ouvrage de recettes de cuisine qui avaient cours pendant l’occupation allemande des années 40, où l’on apprend notamment qu’il faut garder à l’oeil les chats et les chiens du voisinage (Loukanikos, le héros canin des manifs athéniennes devrait être prudent), et bien mastiquer pour atténuer le sentiment de faim. La résurgence du souvenir de la famine de la deuxième guerre mondiale, et l’apparition de calicots montrant Angela Merkel couronnée d’une croix gammée, doit sans doute faire se frotter les mains à quelques colonels.
On ose donc à peine souhaiter une bonne année aux malheureux Grecs, et en ce qui nous concerne on devrait commencer à se dire que 2011 n’était peut-être pas si pourrie que ça.
Dans un prochain épisode, nous inviterons les chanteurs français adeptes du « charity business » à ne pas enregistrer de disque pour aider la Grèce. Vous avez déjà fait assez de mal à la corne de l’Afrique.
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