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“Saïd Mekbel, une mort à la lettre”, de Monika Borgmann

Publié le 15 décembre 2007 par Sam Lebel

Par Youcef Zirem pour la maison des journalistes à Paris

C’est un livre qui donne la chair de poule que viennent de publier, à Paris, les éditions Téraèdre. Ce sont des entretiens donnés en décembre 1993 par Saïd Mekbel à Monika Borgmann. Une année après, le 3 décembre 1994, l’enfant de Béjaia, dans la basse Kabylie, était assassiné à Alger.

Saïd Mekbel était à ce moment là directeur du quotidien le Matin. Celui qui écrivait le fameux billet, Mesmar Djeha, savait qu’il allait mourir. Et pourtant il n’avait pas voulu quitter l’Algérie. Il voulait résister dignement, jusqu’au bout. Il voulait aussi écrire un roman qui ne passerait pas inaperçu ; c’était son plus grand rêve. “Je crois qu’on veut réellement sacrifier pour sacrifier une partie de la population. Mais je suis troublé maintenant. Je suis troublé parce qu’au début, je me disais que c’étaient les intégristes qui tuaient. C’était facile. C’était confortable, c’était peut-être pas loin de la vérité. Mais plus on avance sur les assassinats, plus on réfléchit, plus on se dit que ce ne sont sûrement pas que les intégristes. C’est sûrement une mafia, comme la mafia italienne, américaine ou japonaise. Donc, il y a les intégristes et puis il y a aussi la mafia. Ils tuent soit pour établir un nouveau régime, soit pour protéger leur régime”, dit Saïd Mekbel à Monika Borgman, le 4 décembre 1993.

Pourtant, à cette période-là, le quotidien le Matin soutient ouvertement les militaires algériens. Dans ce livre d’entretiens impressionnants et vrais, Saïd Mekbel va au fond du mal algérien et cite des noms de responsables (dont certains sont toujours au pouvoir) et les accuse de crimes. Saïd Mekbel revient également dans ce livre sur son parcours d’ingénieur et de physicien, sur son passage au quotidien Alger-Républicain (publication où Albert Camus a fait ses débuts dans le journalisme) avant que ce journal ne disparaisse à la suite du coup d’état du colonel Houari Boumediene en 1965.

Saïd Mekbel avait été arrêté par la sécurité militaire en 1967 et n’avait pas échappé à la torture. “C’était un combat, ils te torturaient un peu, parce que c’était leur métier et ils attendaient que tu résistes. C’était un match. C’était une compétition pour eux. Une fois, un de mes tortionnaires m’a dit, deux jours après m’avoir torturé : “ah, c’est bien, tu as résisté, c’est bien, je te félicite”. Il te torture et après il te félicite. C’est toujours un rapport de force. Il ne faut jamais perdre sa supériorité sur l’autre. Et la seule arme qu’on possède, c’est la réflexion. Il faut sentir l’autre, appréhender comment lui te perçoit. Certains de mes rapports avec mes tortionnaires se sont transformés. Vers la fin, l’un d’eux m’a demandé si je pouvais lui faire une lettre pour son supérieur afin que l’on revoie sa situation. Voilà des tortionnaires qui viennent te voir pour que je leur écrive une lettre, c’est quand même terrible”, avoue Saïd Mekbel, l’auteur de cet inoubliable billet, le dernier qu’il avait écrit, intitulé “Ce voleur qui…”.

“Saïd Mekbel, une mort à la lettre”
de Monika Borgmann
éditions Téraèdre et Dar el Djadid, Paris
parution en janvier 2008
141 pages
15 euros ( www.teraedre.fr )


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