Récemment au micro de RTL, durant sa chronique matinale, Vincent Parizot évoquait l’avenir des pays arabes, qui se sont débarrassés de leurs dictatures, après un printemps qui a totalement changé la donne, notamment en Tunisie et en Lybie. A Tripoli, le nouveau pouvoir dit qu’il va se référer à la Charia, et à Tunis, comme nous le savons, c’est le parti islamiste que l’on dit modéré, qui a été donné vainqueur de l’élection de dimanche et qui doit donc former le gouvernement d’ici un mois. Nos maîtres bien-pensants nous avaient dit « Printemps arabe, aspirations des peuples à la liberté, fin de l’histoire, démocratie, universalisme« , mais aussi « islamistes ignorés, islamistes humiliés, islamistes ridiculisés, islamistes néantisés« . On pourrait dire, qu’ils sont comme des Dieux, dans un poème de Victor Hugo. Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas.
Pendant des années, ces pays ont vécu avec une élite occidentalisée, laïque et nationaliste qui imposait par la force, un modernisme progressiste hérité de l’occident à une masse, qui voulait continuer à vivre selon ses modèles culturels ancestraux, arabo-musulmans et ainsi défendre son identité. Vainqueurs des élections, les islamistes tunisiens ont l’habileté de ne pas vouloir gouverner seuls, comme les communistes le firent dans les démocraties populaires d’Europe centrale, après 1945. La comparaison n’est pas un hasard. L’Islam est une sorte de système égalitariste, en tout cas, entre hommes musulmans, qui régit, protège, contrôle et surveille la vie quotidienne des populations. En Tunisie, seule une bourgeoisie aisée et cultivée a pu adopter un individualisme occidental, vécu comme destructeur des solidarités communautaires, par le reste de la population qui vit loin des lumières de la côte. Une Tunisie profonde terriblement appauvrie par une concurrence chinoise quasi sans limite, qui a ruiné ses industries textiles, qui inondaient l’Europe, il y a encore quelques années, au milieu des années 90. Depuis la révolution de Jasmin, les islamistes tunisiens ont réveillé leur formidable réseau d’entraide sociale, vendant à bas prix, produits alimentaires et vêtements.
Les dictatures étaient-elles une protection contre l’islamisme ? Non, la victoire électorale des islamistes entraînera une réconciliation indéniable, et surtout une identification entre les dirigeants arabes et leurs peuples. Mais la démocratie libérale, c’est aussi la séparation des pouvoirs et la laïcité. Or, en Tunisie comme en Egypte, l’Islam est religion d’Etat, la charia constitutionnellement reconnue source du droit. Bien-sûr, des variétés existent, sur le plan de la pratique religieuse. Les Lybiens sont plus pratiquants, plus proches des Saoudiens, que les Tunisiens moins rigoristes. Mais dans tous ces pays, l’Islam n’est pas qu’une religion, qu’une spiritualité, c’est aussi un mode de vie, un système qui lie le religieux, le judiciaire, le législatif, dans une soumission à la Charia, et qui n’est pas sanctionné, placé sous l’autorité spirituelle d’une figure comme le pape, prêtant potentiellement à toutes les surenchères pour être au plus près de Dieu.
Même en Turquie, que l’on donne en modèle pour mieux rassurer les esprits occidentaux, qui ne demandent qu’à être rassurés, une islamisation par le bas de la société grignote lentement, mais sûrement, les acquis laïcs et les libertés individuelles. En Egypte, les islamistes devraient eux aussi, remporter les prochaines élections. En Lybie, le président du CNT, a déjà annoncé que toute loi contraire à la Charia serait abolie, y compris l’interdiction de la polygamie. Bernard Henry-Lévy sera sans doute ravi, de savoir qu’il a été l’idiot utile des islamistes.
J. D.