Dans l’imaginaire économique actuel, la BCE serait à l’instar de l’Allemagne un « modèle de rigueur ». Il n’en est rien.
Par Loïc Abadie
On pourrait croire à la lecture du discours de la BCE que sa politique est radicalement différente de celle de la Fed, que le quantitative easing n’existe pas en zone euro. Vous vous souvenez tous des rachats de dettes souveraines censés se faire « au compte-goutte », à cause de traités européens interdisant cette option.
Dans l’imaginaire économique actuel, la BCE serait à l’instar de l’Allemagne un « modèle de rigueur » et même accusée par certains de ne pas déverser assez de liquidités dans le système (les habituels « experts » dont le niveau d’intelligence économique leur permet de croire au Père Noël et d’être convaincus aujourd’hui que l’impression de billets et le « pilotage monétaire » va créer des richesses réelles).
Pourtant, si on étudie l’évolution du bilan des deux banques centrales sur les 5 dernières années, on s’aperçoit vite que la BCE fait sensiblement la même chose que la Fed.
Observez bien ces graphiques :
Bilan de la Fed (sur 5 ans), source : Fed
Bilan de la BCE (sur 5 ans), source : Bloomberg, BCE
- Le bilan de la Fed est passé en 5 ans de 800 milliards de $ à 2900 milliards de $ aujourd’hui, soit une hausse de 2100 milliards de $.
- Le bilan de la BCE est passé en 5 ans de 1150 milliards à 2500 milliards d’€ aujourd’hui, donc une hausse de 1350 milliards d’€, soit 1755 milliards de $.
L’expansion du bilan de la BCE (+1750 milliards de $) est tout à fait comparable à celui de la Fed (+2100 milliards).
Mieux, sur les six derniers mois, la BCE a accru son bilan de 600 millions d’€, soit 780 milliards de $, donc plus que la totalité du programme de « Q.E2″ mené par la Fed jusqu’à l’été 2011 !
Et ce dernier chiffre ne prend pas en compte les 498 milliards d’€ qui ont été prêtés aujourd’hui au système bancaire européen (pour 3 ans au taux amical de 1%, l’ancien dirigeant de Goldman Sachs qu’est Mario Draghi sait se montrer généreux avec ses amis banquiers).
Ces 490 milliards d’€ représentent à nouveau l’équivalent de la totalité du Q.E.2 américain en une seule journée, ou encore la quasi-totalité de la capacité de prêt théorique du « FESF » actuellement de 500 milliards d’€.
On constate à travers ces chiffres que les interventions de la BCE dépassent aujourd’hui largement en volume tous les autres dispositifs existants (prêts du FMI, FESF ou futur MES). Bien entendu, ces interventions se font sans la moindre consultation directe ou indirecte des peuples des pays concernés, le système associant les banques centrales et les grandes banques ayant visiblement atteint un niveau « d’autonomie » dépassant maintenant nettement celui d’États et de dirigeants élus de plus en plus « hors-jeu » (ou remplacés par des « experts » ex banquiers-centraux comme Mario Monti en Italie.
Soyons clairs, ces faits et chiffres ne m’amènent pas pour autant à adhérer aux théories du complot. Penser que les banquiers centraux et dirigeants de grandes banques (ce sont les mêmes qui tournent en circuit fermé) sont capables d’un complot organisé, c’est leur prêter une intelligence, une capacité d’anticipation et d’organisation du système économique qu’ils sont à mon avis très loin d’avoir.
Il s’agit plus ici de tentatives plus ou moins désespérées d’une caste moutonnière qui voudrait encore se persuader qu’elle va préserver son pouvoir et ses avantages alors qu’elle est en train de foncer dans le précipice. Les banquiers centraux ne sont pas d’habiles comploteurs, ils sont plutôt dans le même état d’esprit que devait l’être Bernard Madoff quelques mois avant sa chute. Mais cela ne les empêchera pas de faire de gros dégâts avant d’être renvoyés aux oubliettes par la crise.
Une petite phrase pour finir. Celle d’Henri Guaino, tête pensante d’un chef d’État en théorie non socialiste et respectueux de la propriété privée.
La France ne présente aucun risque de défaut sur sa dette. Certes, il y a le risque de l’Euro et l’État est très endetté, mais les Français sont parmi les ménages qui épargnent le plus au monde.
Traduction du message d’Henri Guaino : le fait que l’État soit très endetté ne présente aucun risque, puisque les « ménages français » pourront payer. Selon M. Guaino, votre épargne appartient donc à l’État. Rendez-vous à la grande primaire socialiste française d’avril et mai 2012 pour le développement de ces brillantes idées !
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Article originellement publié sur Objectif Éco, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.